Elise Müller a trente-deux ans lorsqu’elle rencontre Théodore Flournoy qui décide d’assister aux séances de spiritisme qu’elle donne à Genève. On est en 1894, la réputation du médium est en plein essor et Flournoy vient d’obtenir la chaire de psychologie à la faculté de Genève. Leur rencontre marque un tournant radical dans la carrière du médium qui développe alors, pendant plus de six ans, deux fictions romanesques assorties de l’invention de langues imaginaires. Existe sur cette histoire une documentation précise : le compte-rendu des séances de spiritisme rédigé par un collaborateur de Flornoy. C’est à partir de ces documents qu’est construit le texte dit par les acteurs de ce film.
On aura tôt fait de saisir qu’au-delà d’une anecdote, typique d’un tournant d’un siècle où le fantastique marque son apparition au croisement de la psychologie, il s’agit ici d’enregistrer l’invisible. Invisibles, bien sûr, les contours et les traits des créatures rapportées par les récits du médium. Mais aussi les voix, et plus généreusement, ce qui s’appelle le travail du comédien. Documenter la puissance de “fictionnement”, voilà le pari ici porté. Il fait des acteurs des médium en différé, et des spectateurs les témoins d’une fabrique d’histoires en direct.
Jean-Pierre Rehm