Morte E Vida Madalena illustre le processus semé d’embûches de la réalisation d’un film, où tout paraît dérailler. Est-ce la transposition d’une expérience personnelle ? Pouvez-vous revenir sur le processus d’écriture ?
Le script mélange des événements qui sont déjà arrivés sur mes tournages ou ceux de mes collègues, avec des peurs qui nourrissent nos pires cauchemars. Tout est pris au point de l’absurde, bien sûr, mais basé dans la réalité. Dans le cinéma indépendant à petit budget, où le temps est court et l’argent est rare, des événements inattendus peuvent ruiner un film. Une semaine où il pleut plus que prévu, une actrice qui tombe malade, des tensions entre des membres de l’équipe, des dépenses plus importantes que prévu, tout ce qui sort du plan est une raison de paniquer. Quand je suis sur le tournage, je me réveille chaque jour en pensant : « aujourd’hui tout peut foirer. Prépare-toi. » Et tout finit par fonctionner, même quand ça foire. La résilience est une condition nécessaire pour quiconque veut faire ce genre de cinéma. Et rester toujours de bonne humeur en est une autre.
Qui est cette actrice avec une présence incroyable qui joue Madalena ? Avez-vous l’habitude de travailler avec elle ? Comment l’avez-vous rencontrée ?
Je connais Noá Bonoba depuis plusieurs années et je l’ai toujours beaucoup admirée en tant qu’actrice. Nous avons travaillé ensemble sur mon film précédent, Estranho Caminho (Un Chemin Étrange, 2023), où elle s’est préparée au casting et a joué le rôle d’un policier dans une scène comique que j’aime beaucoup. Morte e Vida Madalena est le premier long-métrage dans lequel elle joue le rôle principal. En plus d’être actrice, Noá est aussi réalisatrice. Elle a fait plusieurs courts-métrages et est actuellement en train de réaliser son premier long métrage.
La grossesse du personnage principal fonctionne comme un ressort comique tout comme une forme de revendication. Pouvez-vous revenir sur cet élément scénaristique ?
Quand j’ai eu l’idée du film, au début, le personnage était enceinte et je ne savais pas vraiment pourquoi. J’ai simplement commencé à écrire en acceptant sa condition et en construisant le récit autour. Et la grossesse a pris de plus en plus de sens dans l’histoire et je l’ai gardée. Madalena qui porte un enfant dans son ventre et un film sur les épaules. Faire un film est une sorte d’accouchement : le processus est une montagne russe émotionnelles, dont la conclusion est un énorme soulagement. Pour aller plus loin, on peut comparer les films à des enfants : si nous ne déployons pas tous nos efforts et tout notre amour au moment de les créer, la déception peut durer tout le reste de notre vie. Chose curieuse, quand nous avons fini de tourner, Ticiana, la productrice du film, a appris qu’elle était enceinte.
Pendant Morte e Madalena, c’est-à-dire le film dans le film (un feuilleton dans l’espace, une sorte de remake de Star Wars, dans lequel l’un des protagonistes nous rappelle Klaus Kinsky), vous rendez hommage à une forme de cinéma, notamment le film de série B. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre cinéphilie et vos sources d’inspiration ?
Le film produit par Madalena devait être un film de série B pour des raisons budgétaires, en vérité. Si nous avions travaillé avec un budget plus élevé, Madalena aurait peut-être produit un Blade Runner sous les tropiques. Et c’est exactement le propos du cinéma de série B, l’invention d’une esthétique qui naît des limitations économiques. Ce n’est jamais un choix, c’est une condition. Sauf quand Tarantino ou De Palma décident de faire des films B pour rendre hommage au cinéma de série B. C’est pour ça que nous sommes si fascinés quand nous voyons des films faits avec peu d’argent, parce qu’il y a une valeur inestimable dans le fait d’utiliser au mieux ses maigres ressources, une valeur qui génère de l’empathie dans le public et élève ces productions à une place de pertinence historique bien plus grande que beaucoup de grosses productions ostentatoires.
Quant à la ressemblance de Tavinho Teixeira à Klaus Kinsky, je n’ai pu que rêver du moment où l’on ferait une telle comparaison. Vous avez illuminé ma journée. Et je suis sûr que c’est quelque chose que Tavinho adorerait entendre ça.
Morte e Vida Madalena est aussi un film de troupe, dont la progression déroule une réflexion sur la violence et les relations de domination. Comment ces questions sont-elles passées au premier plan de l’écriture et pendant le tournage ? Était-ce un désir pour une différente manière de faire du cinéma, ou une critique des relations de pouvoir et de la hiérarchie qui gouverne la vie sur le plateau ?
Filmer les travailleurs est quelque chose qui a fait partie du cinéma dès que les travailleurs ont quitté l’usine Lumière, et ce jusqu’à aujourd’hui. C’est toujours fascinant de voir l’action du labeur à l’écran, surtout quand on présente de nouvelles perspectives d’un certain travail et que l’on révèle de nouveaux angles. Avec Morte e Vida Madalena, je voulais filmer des employés du cinéma, plus spécifiquement des employés du cinéma indépendant à petit budget dans un pays du tiers monde – ceux qui sont bloqués aux frontières –, c’est-à-dire le cinéma que j’habite depuis 20 ans. Le film est donc un hommage au cinéma de troupe, fait entre amis, artisanal, inclusif ; mais il refuse de se romantiser lui-même, et sa propre précarité. L’histoire révèle un processus marqué lui aussi par la violence, traversé par des tensions et des luttes de pouvoir, qu’importe à quel point il est à gauche en comparaison avec les méthodes de production du cinéma industriel hégémonique. Simplement parce que nous sommes dans un environnement plus horizontal et inclusif ne veut pas dire que nous ne devons pas nous occuper des monstres qui nous habitent – et qui se nourrissent des conditions que l’on nous donne. Morte e Vida Madalena est un film drôle et solaire, mais il ne cache pas sa part d’ombre. Et je pense que le personnage de Madalena reflète bien cela.
Quelles ont été vos directions pour le jeu ? Avez-vous travaillé à partir de dialogues écrits ou avez-vous laissé de la place à l’improvisation ?
En général, je répète beaucoup avec les acteurs en pré-production. Nous répétons toutes les scènes du film, en commençant par ce qui est écrit dans le scénario puis en improvisant. Et tout est filmé. Puis je regarde les répétitions, et je prends ce qui fonctionne des improvisations pour l’emmener au scénario, que je retravaille constamment jusqu’au début du tournage. Sur le plateau, puisque nous avons un temps limité, je dois me fier au scénario. Ce qui n’a jamais arrêté les acteurs les plus proactifs, comme Noá Bonaba et Tavinho Teixera par exemple, de donner une forme différente au texte ou même une tonalité différente à une scène après que je dise « action ». C’est beaucoup arrivé pour ce film. Eux deux, ainsi que d’autres acteurs, m’ont beaucoup surpris. J’aime être surpris, voir arriver quelque chose à laquelle je ne m’attendais pas. Même si j’aime m’assurer que l’on fait ce qui était prévu. Je suis aussi monteur, donc je sais à quel point un changement fait dans le feu de l’action, qui à ce moment précis paraît parfaitement sensé, peut souvent devenir un problème dans la chronologie. C’est toujours bien d’avoir ce qui a été étudié et planifié mais aussi d’avoir des options plus risquées. Quand il s’agit d’une comédie, c’est d’autant plus important.
Cette communauté rassemblée autour de la réalisation du film est une communauté queer, sans que les questions du genre soit un sujet dans le film. Quels étaient ici les enjeux de représentation ? Que signifie le cinéma queer pour vous ?
En mettant les personnes qui travaillent avec moi face à la caméra, le film souligne naturellement la communauté LGBT, puisque c’est ces personnes avec qui j’ai travaillé sur mes derniers films. Ou celles qui ont travaillé avec Ticiana sur d’autres projets de notre compagnie de production. C’est important pour nous de former des équipes plus inclusives, mais au final ces personnes sont invitées parce que ce sont des professionnels que nous admirons, en qui nous avons confiance, et avec qui nous aimons travailler. Linga Acácio, par exemple, qui joue le rôle de la directrice de photographie, a été la directrice de photographie de mon dernier long métrage, Estranho Caminho – et a gagné le prix de la meilleure cinématographie au festival du film de Tribeca – et d’un long métrage que j’ai fait en 2016, appelé O estranho caso de Ezequiel avant sa transition. Noá, avec qui j’ai aussi travaillé sur mon dernier film – et dont notre compagnie de production a produit un court métrage en 2016 – a été invitée à jouer le rôle principal parce que je trouve que c’est une actrice géniale et que j’avais très envie de travailler avec elle. Je n’ai pas écrit le personnage de Madalena en pensant à elle, mais quand j’ai eu l’idée de l’inviter, j’étais sûr qu’elle brillerait dans le rôle. Et je crois en un cinéma qui est assez libre pour qu’une femme trans puisse jouer un rôle de femme cis enceinte, sans que cela soit justifié ou thématisé, mais simplement vécu intensément. Pour moi, le cinéma queer est un cinéma qui inspire la liberté, qui cherche à déplacer les frontières, à démanteler les murs moraux, et je m’y intéresse à la fois de manière esthétique et politique.
Le registre comique inculque une sorte de tendresse et d’indulgence à vos personnages, même aux plus exaspérants. Pourquoi ces dimensions étaient-elles importantes ?
Je pense que tous les films que j’ai faits ont un sens de l’humour et des éléments comiques dans une mesure plus ou moins grande. Qu’ils soient ironiques, satiriques ou moqueurs, les films ne se prennent jamais trop au sérieux. Ici à Ceará, l’état dans lequel je suis né et où je vis, nous avons un grand sens de l’humour. C’est fortement présent dans la manière dont nous voyons la vie et dont nous faisons face à nos problèmes. C’est un fait culturel. Dans Morte e Vida Madalena j’ai essayé de parier sur ça, sur la comédie comme genre dominant. Peut-être parce que je parlais de mon propre travail, d’un univers dont je fait partie et dont je suis composé, ça n’avait pas de sens pour moi d’adopter un ton sérieux. C’était aussi pour éviter toute sorte d’idéalisme et de romantisation. Je préfère aussi rire de nos problèmes plutôt que les laisser nous dévorer. Le rire est une arme très puissante, en réalité. Ici nous l’utilisons chaque jour.
Propos recueillis par Claire Lasolle