Cobre suit le personnage de Lázaro, qui, en allant à la mine un matin, tombe sur un cadavre et devient suspect. Quel a été le point de départ du film ? Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?
Je pensais à la relation entre la violence et l’exploitation des ressources naturelles au Mexique. Au cours des deux dernières décennies, l’État mexicain, les entreprises privées, et la société civile ont toutes été érodées par le crime organisé. Pourtant, la représentation populaire des « Narcos » a tendance à tout réduire à une poignée de méchants qui vendent des drogues et tuent des gens. La réalité est bien plus complexe.
Dans beaucoup de villes minières, les travailleurs qui ont essayé d’améliorer leurs conditions de travail se sont trouvés face à une violence soudaine – violence souvent attribuée par l’État et les propriétaires miniers à des cartels de drogue. Cette caricature du crime organisé est devenue un bouc émissaire pratique pour quiconque cherche à faire taire des désaccords ou à démanteler des mouvements citoyens.
J’ai commencé à penser au meurtre d’un militant dans une ville minière, et à ce qui pouvait arriver à la personne qui découvrirait le corps. Finalement, j’ai décidé de me focaliser sur quelqu’un de complètement dépolitisé. De ce point de vue, le film a graduellement changé d’orientation. Il est venu à parler plus de son monde intérieur – sa vie de famille, ses désirs, ses peurs.
Plus que dans sa dimension sociale, la mine est ici présentée à l’aune de ses conséquences sur le corps à travers la maladie de Lázaro. Pourriez-vous développer cet aspect ?
Je voulais maintenir présent le contexte politique, donc c’était important que la mine soit une partie du film – même si nous ne la voyons jamais vraiment. Le corps malade de Lázaro est un rappel constant de son lieu de vie et de travail. J’espère que cela crée un lien entre son état physique et plus largement la violence de l’exploitation autour de lui.
Lázaro G. Rodriguez campe un personnage à la fois complexe et comique, toujours pris dans une forme de triangulation – entre sa mère et sa tante, entre sa tante et son compagnon – y compris dans l’espace. Comment avez-vous élaboré son personnage ?
Je pense que je voulais faire un film sur quelqu’un qui ne sait pas vraiment qui il est ou ce qu’il veut. On ne sait pas vraiment s’il est vraiment malade, et lui non plus. Il paraît épris de sa tante, mais il n’ose pas l’admettre – pas même à lui-même. Il veut s’affirmer, mais quand il est avec le petit ami de sa tante, il paraît être un enfant, alors qu’ils ont plus ou moins le même âge.
En général, je ne pense pas au développement du personnage délibérément. J’écris juste des scènes en imaginant leurs vies et en observant ce qu’ils font et ce qu’ils disent. Finalement, ce processus construit un personnage que je commence à comprendre quand le scénario prend forme.
Le récit avance lentement, au rythme de longues prises de vue en plan fixes. Pourquoi ce parti pris formel ?
Dans Cobre, je voulais laisser les personnages exister simplement dans leur vie de tous les jours. Il y a plusieurs scènes qui montrent Tere et Rosa au travail – des métiers pénibles, répétitifs, qui prennent du temps. Pour observer ces processus correctement, je me suis dit que des plans longs et statiques étaient nécessaires.
Le film ne suit pas vraiment un récit classique, il observe les personnages piégés dans une situation insoluble : le fait que Lázaro ait trouvé un cadavre. La caméra et la cadence reflètent ce sentiment d’inertie. Ils sont bloqués – dans leurs vies, leurs relations, dans ce problème planant et insoluble.
Intérieurs confinés et parfois sombres, extérieurs très clairs, filmés en plan large, sont les décors principaux et lieux de rencontre des protagonistes. Comment avez-vous pensé cette relation entre l’intérieur et l’extérieur ? Et en termes de positionnement des corps dans l’espace ?
Je n’ai pas vraiment pensé au cadrage avant d’avoir les lieux. Les lieux ont dicté les installations de la caméra. Ou peut-être mieux vaut-il dire que les positions de la caméra ont été des décisions intuitives formées par les espaces en eux-mêmes.
Je ne visais pas le réalisme. Les lieux sont quelque peu étranges. Par exemple, la chambre de Lázaro ressemble plus à une cave qu’à la maison typique d’un mineur. Le style visuel du film est né de la décision de filmer dans ces espaces inhabituels, non-réalistes.
Cobre travaille la question de la vérité et du faux, à travers différentes situations d’énonciation – rumeurs, répétitions, fausses signatures. Pourriez-vous revenir sur cette tension dans le film ? Qu’est-ce que cela a impliqué en termes de jeu ?
Les personnages doivent souvent mentir ou douter – de par leur travail, ou dans le cas de Lázaro, peut-être pour sa propre liberté. Quand la tromperie devient banale, on arrête même de faire confiance à nos propres sentiments et désirs. Je suis attiré par les personnages qui sont perdus intérieurement, parce que je doute aussi souvent de moi-même. Même mon travail de professeur me paraît parfois être une performance, donc je m’y identifie.
Quant au jeu, j’espérais que ça ne changerait rien. Même quand les personnages mentent ou répandent des rumeurs, je voulais que les acteurs jouent comme si tout ce qu’ils disaient était réel. Pour ceux qui sont immergés dans la tromperie, le faux devient leur vérité – leurs corps bougent et réagissent comme si c’était réel.
À travers les regards et les silences notamment, vous travaillez l’ambiguïté dans les relations entre personnages, particulièrement celle de Lázaro et de sa tante. Pourriez-vous commenter cet élément ?
On ne peut pas parler de cette relation. Ils ont probablement une sorte d’entente sur leurs sentiments, mais les exprimer les détruirait – et la famille avec. Donc ils font semblant, pour eux et pour le monde, qu’il n’y a rien. Le silence est devenu une manière de représenter cette tension.
Celui-ci passe aussi par la bande son et la musique minimaliste. Dans quelle direction les avez-vous composées ?
Je composais la musique en même temps que je faisais le film, je ne faisais que m’amuser – je ne suis pas musicien. J’évite la musique non-diégétique, mais je me suis surpris à imaginer Lázaro sur sa moto alors que je jouais du piano. J’ai enregistré un morceau et je l’ai essayé avec les images et j’ai aimé le résultat. Si à ce moment là je n’avais pas été amateur de piano, le film n’aurait probablement pas de musique du tout.