Apichatpong Weerasethakul
Le plan, on y entre doucement, par le bas s’il est un peu surélevé, ou par le fond, détaché d’un élément. Symétriquement, on ne sort pas du plan, ce serait surligner et aiguiser ses bords. On s’y évanouit. Ayant signifié à Keng qu’ils ne se reverront plus, Tong s’enfonce dans la profondeur, absorbé par la nuit où s’estompe la perspective. Dans Tropical Malady, on ne rompt pas, on s’efface. Et lorsque, au milieu du film, un conte prétend s’abattre comme une herse céleste sur ce havre, c’est conformément à cette économie du moindre signe qu’il n’y fait pas le chambard annoncé. Laissant quelques intertitres prendre en charge le récit, Joe n’en retient pour son cadre que des traces sommaires : empreintes au sol, tronc griffé, merde survolée de mouches. Voilà comment la terrible bête s’épingle dans le champ. Doucement, doucement. L’ajout de conte, c’est quoi au fond ? Un singe et un tigre, les mêmes qui en première partie auraient pu apparaître en raccord de regard d’une déambulation amoureuse. Sauf qu’aux cris aigus de l’un on accole des sous-titres, et aux moustaches immobiles de l’autre une voix-off. Entre le réel et sa légende il n’y a que le dépôt feutré de deux ou trois signes.
François Bégaudeau, Cahiers du cinéma, novembre 2004
- Grand Prix d'Honneur
Fiche technique
Thaïlande, France / 2004 / 118’
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