Apichatpong Weerasethakul
« Ce qui rend Oncle Boonmee si singulier, c’est que son sens de l’amalgame et de la relance sert un jeu d’échos entre le proche et le lointain, entre l’intime et le public, entre murmures secrets et rumeur du monde. Pour passer par de tels relais sensoriels, le film a besoin d’éprouver sa propre extinction, de prendre le risque d’une sous-fictionnalisation, qui incite les spectateurs à tendre l’oreille et ouvrir les yeux. En témoigne cette attention pour les lueurs, les lucioles et les « infras-sons », autant d’éléments porteurs d’une émotion inversement proportionnelle à leur intensité sonore ou lumineuse. L’épisode de l’excursion dans la grotte, temple où Boonmee vient déposer son dernier souffle, est à ce titre un sommet d’intensité : enfoncement dans le noir, confession murmurée devant l’angoisse d’une possible cécité, heureuse et inattendue découverte d’une voûte scintillante dans les tréfonds de l’obscurité, aménagement de la chambre mortuaire, derniers souffles bercés par l’écoulement du jus de la dyalise du mourant, un son paisible qui évoque celui qu’on recueille à la naissance d’une source. Puis le lendemain, retour d’une lumière tranchante, bourdonnements solaires de la jungle qui viennent se mixer, avec le plus parfait naturel, aux lancinantes prières des obsèques arrangées comme pour un set électro : capables de relier le fil de l’atonalité à l’extase de la transe libératoire. Jamais sans doute depuis le plan-séquence final de Profession : reporter d’Antonioni, une agonie n’aura été accompagnée avec autant de patience, transmettant par son mouvement même, une sentiment de compassion purement cinématographique, c’est-à-dire uniquement raccordé aux simples perceptions lumineuses, spatiales et surtout auditives et temporelles. »
Joachim Lepastier, Cahiers du cinéma, septembre 2010
- Grand Prix d'Honneur
Fiche technique
Thaïlande, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, France / 2010 / 114’
- Autres films / Grand Prix d'Honneur