Apichatpong Weerasethakul
Qu’on se souvienne du début de Mysterious : il ne s’agit pas d’enchaîner l’arbitraire de récits glanés ici ou là même si tout semble contribuer au règne allègre d’un montage aléatoire, mais d’amorcer un large détour thérapeutique. Ce début, rappelons le, passé le long descriptif du travelling de la ville à la campagne en camionnette de marchand ambulant, interroge sur un mode documentaire que le film ne quittera plus, y compris à son « midi », une jeune femme. En larmes, cette première narratrice raconte qu’elle a été victime d’un marché sordide : son corps contre le prix d’un voyage, son viol par l’oncle en échange de la somme qui permettra à son père l’exode rural, 18 000 baths pour faire le trajet inverse de celui que la caméra vient d’opérer (toujours l’argent, brusque rappel numérique, est chez J.A.W. précisément décompté). Au rapport de ce pacte vicié, la liberté de l’autre pour prix de la sienne, l’intervieweur rétorque tout de go et sans empathie : « Vous avez une autre histoire à raconter ? Réelle ou imaginaire. » La sécheresse de l’alternative plonge la femme dans une perplexité qui ne la laisse pourtant pas impuissante, puisqu’elle enclenche aussitôt l’attaque de cette fable en épisodes, le plan suivant introduisant sans transition ses deux protagonistes, la professeur Dogfahr et son élève infirme. Le premier départ « poétique » du film n’a donc rien d’exquis, c’est le cadavre d’une enfance spoliée à qui il s’agit de faire prendre la route de l’oubli, empruntant les voies du « réel » comme celles de l’ « imaginaire ».
Jean-Pierre Rehm, Cahiers du cinéma, avril 2005
- Grand Prix d'Honneur
Fiche technique
Thaïlande, Pays-Bas / 2000 / 83’
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