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LA NASCITA DI UN REGNO

THE BIRTH OF A KINGDOM

Marco Piccarreda

Gaia Formenti

Marco Piccarreda Gaia Formenti
Dans le paysage minéral, les figures semblent appartenir à un âge archaïque ré-imaginé. Masques immenses, postures hiératiques condensent chaque personnage en un archétype. Soudain ceux-ci refont apparition dans un théâtre d’ombres dont le drap tendu fait écho à l’écran de cinéma. Une spectatrice s’endort et réapparaît avec un masque animal, simultanément chaperon rouge et loup. Gaia Formenti et Marco Piccareda poursuivent sur la voie de Creatura dove vai ? (FID 2019) avec ce conte qui, sa fertilité formelle devenant sexuelle, culmine en un cantique de la muqueuse et des fluides corporels. (Nathan Letoré)

Entretien avec Marco Piccarreda et Gaia Formenti

Votre film mêle plusieurs modes de narration : drame en costumes, conte de fées, poème visuel. Pourquoi ce jeu sur les registres narratifs ?

MP : Toutes nos œuvres naissent d’un régime d’autoproduction féroce et sont réalisées en solitaire et dans une atmosphère d’immersion totale dans l’univers du film. Pour La nascita di un regno aussi, nous nous sommes occupés de tout : nous avons fabriqué les costumes, construit les décors, mis au point les trucages, élaboré les monstres et les effets spéciaux, en plus de nous occuper du tournage, du montage, des acteurs…
Ce fonctionnement épuisant a pour contrepartie une liberté d’action totale et périlleuse (il n’y a ni scénario, ni plan de production). Entre le premier plan tourné et le dernier, il y a eu presque un an et plus de 1000 km. Cette liberté et cette ouverture totales se retrouvent aussi au plan narratif, au style du film, à ses atmosphères. C’est seulement à un stade très avancé que La nascita di un regno s’est révélé être une réflexion sur le sens même de « raconter ». Une intuition qui m’a guidé durant tout le montage du film. Car il est précisément ce prisme de mondes qui glissent les uns dans les autres. Des récits apparemment décousus, obscurs, et pourtant traversés d’un fil rouge sang.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le théâtre d’ombres?

GF : Le film peut être lu comme le récit d’un sacrifice : celui d’une petite fille au seuil de l’adolescence.
Mais avec l’idée que la jeune protagoniste, au lieu d’être une petite fille sans défense, doit se sacrifier en accomplissant une mission « virile », typiquement masculine (d’où le masque de loup). Nous voulions que cette mission mortelle ait en quelque sorte une dimension visuelle, racontée par des images et non par le langage oral (le film est muet). C’est ainsi qu’est né le théâtre d’ombres (qui est la première forme du cinéma), un petit film dans le film qui a pour tâche d’amuser la protagoniste et de l’instruire sur sa future mission, en inscrivant son action dans une narration mythique et héroïque. Et c’est justement en s’endormant pendant la vision de ce spectacle, bercée par les ombres et le feu nocturne, que la protagoniste entrera, en rêve, dans la fable mythologique à laquelle elle a assisté, en devenant la protagoniste. Pour l’animation des marionnettes dessinées par Marco, nous devons remercier Nadia Milani et Matteo Moglianesi, deux acteurs et animateurs extraordinaires.

Dans la première section, vos personnages appartiennent à un registre mythique qui semble à la fois ancestral et parodique. Comment avez-vous pensé la construction visuelle de cette section?

MP : Nous connaissons très bien le lieu où nous avons tourné le début du film (nous y avions déjà tourné notre film précédent, Creatura dove vai ?) donc nous avions bien en tête le paysage, le type de lumière, la palette de couleurs dont nous avions besoin pour fonder notre prologue comique et apocalyptique.
L’idée était d’évoquer un monde aride et mourant qui aurait servi de contrepoint à l’obscurité fertile de la forêt dans la deuxième partie du film. Un monde d’ancêtres hiératiques et immobiles, de sorciers du passé désormais incapables de générer la vie. D’où l’idée du paysage désert inondé de lumière, des fissures dans le sol, des os d’animaux, des vêtements blancs et des énormes couvres-chef d’argile et de fossiles. Les sources inépuisables de mon imagination sont Pasolini et Piero della Francesca.


Votre film culmine dans une symphonie visuelle de textures qui évoquent des parties génitales et des fluides corporels. Comment avez-vous conçu cette fin en relation avec le reste du film ?

GF: L’idée de départ était de créer une fusion entre la fille et la forêt, une sorte de premier acte sexuel, d’initiation à l’érotisme. Au départ, nous ne savions pas exactement comment mettre en scène cette séquence. Marco a commencé à expérimenter avec le latex, en construisant des objets qui étaient un mélange étrange entre fleurs, fruits, et organes génitaux. Ils avaient quelque chose de fascinant car les matériaux n’étaient pas facilement reconnaissables et se prêtaient à diverses interprétations. Suivant cette intuition, nous avons mis au point des mécanismes pour les animer, les gonfler, les faire suinter des liquides. Nous savions que cette scène serait différente du reste du film par l’imaginaire et le langage. En même temps, nous sentions que cette séquence nous servait justement pour sa forte dimension évocatrice et anarchique, par moments proche de l’horreur.

Propos recueillis par Nathan Letoré

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Fiche technique

Italie / 2021 / Couleur et Noir & blanc / 32’

Version originale : sans paroles
Scénario : Marco Piccarreda, Gaia Formenti
Image : Marco Piccarreda
Montage : Marco Piccarreda
Son : Giancarlo Rutigliano
Production : Marco Piccarreda, Gaia Formenti
Distribution : Marco Piccarreda
Filmographie :
– Marco Piccarreda & Gaia Formenti :
Creatura Dove Vai?, 2019
Cittàgiardino, 2018
– Marco Piccarreda : Spartivento, 2022.
ENTRETIEN AVEC LES RÉALISATEURS