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EXTRAÑAS CRIATURAS (STRANGE CREATURES)

Cristóbal León

Cristina Sitja

Le début ? Celui d’un conte de fées : les animaux de la forêt vivent heureux dans leur habitat naturel, qu’ils nomment leur maison. L’animation, magnifique, mêlant papier mâché, sérigraphie, traits de couleur aux feutres, crée une ambiance de gaieté bonhomme, tandis que la bande son mélange bruitages et mélodies faussement enfantines. Tout souligne le caractère idyllique. Mais un jour, les animaux rentrent d’une virée au soleil pour trouver leur maison dévastée, les arbres réduits à l’état de souches, la forêt transformée en terrain vague. La première solution sera le recyclage low-tech, qui fait de nécessité vertu : ils découvrent une décharge et émerveillés par les matériaux qui s’y amoncellent, les utilisent pour se refaire un habitat. Mais le premier coup de vent vient tout balayer. C’est seulement lorsque les animaux font la rencontre des humains, et tentent divers stratagèmes pour entrer en contact avec eux pour leur communiquer l’importance de la forêt, que pourra s’ébaucher une solution commune. Dans les aventures de cette troupe d’animaux archétypale (l’ours, le loup, l’oiseau qui sème des graines à la façon du Petit Poucet), le couple d’animateurs évoque la destruction environnementale en renversant l’iconographie du conte : la forêt, d’espace inquiétant, devient l’espace accueillant opposé au malaise de la civilisation ; la parabole n’y est plus celle de la formation du jeune héros, mais du dépassement de l’obsession industrielle de l’Homme. (N.F.)Cristóbal León

L’animation est plus simple dans Extrañas Criaturas que dans votre précédent film, Casa Lobo, mais mêle néanmoins plusieurs techniques (stop motion en papier mâché, coloriage, sérigraphie…). Comment choisissez-vous quelle technique utiliser pour vos projets ?
Cristobal : Pour Casa Lobo, Joaquin et moi voulions faire un film sur un univers mouvant, un film dont l’histoire viendrait de transformations matérielles. Nous voulions projeter une sorte de rêve, ou de cauchemar, et nous voulions que le film soit traversé par un seul et unique courant matériel et énergétique. C’est pourquoi nous avons exploré ce genre de technique de stop motion. Dans le cas d’Extrañas Criaturas, je pense que le type d’histoire exigeait un traitement plus contrôlé, plus planifié. À vrai dire, ces projets sont très différents, et nous ne choisissons pas toujours un traitement ou une technique en fonction d’une histoire spécifique. Pour Casa Lobo, c’était l’inverse : nous avions un point de départ technique et esthétique et ce point de départ nous a menés vers une histoire. Par contre, j’attends de chaque projet qu’il soit une opportunité d’explorer des choses nouvelles.

Comme votre film précédent, celui-ci comporte plusieurs éléments tirés du monde des contes de fées : les animaux, la forêt, les grains semés pour former un chemin… Pourquoi cette forme est-elle importante pour vous ?
Cristina : Extrañas Criaturas est basé sur un livre pour enfants du même titre que nous avons écrit en 2013. Cristobal est venu me voir un jour et a suggéré de faire un court-métrage tiré de ce livre. L’idée originale était d’animer des dessins au fusain, mais nous avons abandonné cette idée car nous avons réalisé que nous voulions que le film ait une esthétique différente de celle du livre.
Cristobal : Les contes de fées ont toujours été une de mes grandes sources d’inspiration. Plusieurs choses m’intéressent : ils sont universels, fonctionnent comme des mondes métaphoriques, et sont des créations collectives. Ils naissent en étant racontés sur plusieurs générations. Ce processus les emplit de strates et de contradictions. Dans la même histoire, des manières opposées de comprendre le monde peuvent cohabiter, car les conteurs ajoutaient et retranchaient des éléments au fil des siècles. Dans le cas de ce film, Cristina m’a dit que l’idée de l’histoire lui est venue en rêve. Je pense aussi que la tradition animée est profondément ancrée dans celle du conte ; si on repense aux grands noms Disney, Miyazaki, Svankmajer… presque tous y puisent, à leur manière. J’ai l’idée ridicule de faire de même d’une perspective latinoaméricaine.

Plutôt qu’une voix pour chaque personnage, vous faites le choix d’un narrateur unique et non identifié en voix off.
Cristina : L’idée originale était de raconter l’histoire en n’utilisant que le son et la musique, que Diego Lorenzini créerait une fois le film monté. Quand nous avons vu le premier montage, nous avons compris qu’un narrateur serait nécessaire pour fluidifier la compréhension de l’histoire. Ce narrateur pourrait être n’importe lequel des animaux de la forêt, puisque nous voulions que l’histoire soit racontée de leur point de vue.

Propos recueillis par Nathan Letoré

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Fiche technique

Chili / 2019 / Couleur et Noir & blanc / 15'

Version originale : espagnol. Sous-titres : français. Scénario, image et montage : Cristina Sitja, Cristóbal León. Son : Diego Lorenzini. Avec : Álvaro Morales.

Production et distribution : Diluvio (Catalina Vergara).