Assis dans un train, un jeune homme lit la lettre d’un vieil ami, défunt aujourd’hui, rencontré adolescent. Il va à la campagne visiter les lieux et les témoins d’un passé marqué par l’engagement et par l’histoire. On aura reconnu le mouvement documentaire typique, souligné par le grain de l’image, la chaleur de couleurs en demi-teintes, par l’usage canonique de la voix off (la lettre lue par le grand René Vautier) : le film qui s’instaure comme archive. Mais ce jeune homme habite aussi son propre présent. Il y est, entre autres, acteur d’une fiction urbaine qui se construit par bribes. Et son scénario, dans ce qu’on peut en saisir, dans les dialogues qui en surnagent, évoque lui aussi les possibilités d’une imagination et d’une action collectives possibles.
Telle est, fermement balancée, l’alternative. Documenter le passé, d’un côté, faire l’inventaire de l’héritage. Se nourrir des questions et des élans légués par les anciens. De l’autre, négocier la transmission de l’héritage, fabriquer un nouvel espace, encore à venir, fictif donc, d’une implication contemporaine, d’une forme politique actuelle gagnée sur les incertitudes, mais jamais à leurs dépens. Armé de modestie, mais d’une belle et nécessaire ambition aussi, le film de Michaël Dacheux superpose à la fois les temporalités politiques et les modalités du cinéma pour dérouler la suite de questions que son titre, emprunté à René Char, fait résonner comme le programme d’hier autant que celui de notre présente urgence.
Jean-Pierre Rehm