Irbene, coin perdu de Lettonie, une de ces villes secrètes de l’époque de l’occupation soviétique. Fiché d’un gigantesque radiotélescope d’espionnage, emblème d’une puissance caduque, ce lieu partage désormais son activité entre un tourisme circonspect et la radioastronomie du soleil dont l’ambition incertaine offre son titre au film.
Observer les mutations de cette société aux confins de l’Europe, capter ses agitations les plus discrètes, tel est ici le projet. Outre les quelques astronomes à l’allure de vieux enfants égarés au milieu de joujoux de fortune, Catherine Dalfin s’est surtout attachée aux femmes qui peuplent une ville moins déserte qu’escompté. Fantômes ou personnages d’un mauvais conte moderne, elles hantent les bois environnants. Leur vie au ralenti est rythmée de gestes élémentaires, expédients que l’on devine au service d’une économie de subsistance : pêche, cueillette, récupération. Laissées pour compte, ces femmes incarnent l’écart entre un monde disparu et la marche d’une économie de marché encore aussi éloignée que le soleil.
La rigueur des plans fixes souligne les entrées et sorties du cadre, les traversées dans la profondeur de l’espace. Et pointe vers un hors champ, ce peuple d’ombres, reste d’une communauté vouée à la disparition. Pari aussi de ne pas traduire les paroles échangées, accentuant le décalage de ce monde à la visibilité fragile, suspendu entre deux temps, deux langues, russe et letton, auxquelles s’ajoutent des bribes comiques de français et d’anglais.
Nicolas Féodoroff