On connaît Nanouk, l’Esquimau de Flaherty, tourné en 1922 dans le grand Nord. Souvent considéré geste fondateur d’un cinéma documentaire envisagé comme genre, l’oeuvre est devenue mythique, autant pour sa belle authenticité que pour sa partie reconstituée. Avec The Journals of Knud Rasmussen, Zacharias Kunuk et Norman Cohn proposent une intrigue qui se situe en cette même année 1922, et quasiment sur les mêmes lieux. Engagée avec le Atanarjuat, la légende de l’homme rapide, ils poursuivent leur investigation de l’imaginaire inuit et se tournent ici vers un moment clef de son histoire : l’introduction du christianisme. Des soubresauts de ce monde en voie de disparition, l’explorateur et anthropologue Knud Rasmussen en a fait le récit documenté dans son journal. Ici, Kunuk et Cohn, en un mouvement apparemment facétieux mais décisif, inversent les données. Sous ce titre trompeur aux allures d’adaptation cinématographique, il s’agit en fait de restituer le point de vue des intéressés, les Inuits, dans leur langue, l’inuktitut. Renverser l’ethnocentrisme a été possible grâce à la collecte patiente et minutieuse, à l’exemple du travail de l’explorateur, de récits oraux transmis de génération en génération. C’est ce matériel, nourri également de nombreux récits de voyageurs, qui a servi de terreau pour l’élaboration d’un scénario où la précision ethnologique a choisi d’intégrer les éléments fabuleux d’un panthéon agonisant.
Nicolas Féodoroff