Dans son précédent et premier long-métrage, étonnant Short Story about Indio Nacional (montré au FID l’an dernier), le si jeune Philippin Raya Martin avait su d’emblée signaler sa forte personnalité. Deux traits, très vite dit, la caractérisaient. Une écriture lyrique d’abord, faite de lents plans séquences, un penchant marqué pour le cinéma des origines avec sa fausse candeur formelle, la simplicité austère de ses cadres et une propension onirique. L’ambition ensuite, confondante pour un artiste de son âge, de prendre en charge rien moins que l’épopée de son pays. On ne manquera pas de retrouver ici la même manière, radicalisée encore davantage. Dans cette fiction, le scénario est squelettique : quelqu’un marche, puis se souvient à l’issue de son infiniment longue déambulation de personnages que l’on voit soudain apparaître : deux jeunes garçons arrêtés par la police, puis emmenés à traverser la jungle, lieu de leur exécution sommaire. Mais à l’image, tout cela reste brumeux – c’est l’espace du souvenir, de la reconstitution aujourd’hui, qui empêche que des actions ou des figures s’incarnent en dehors de la nuit de leurs frayeurs. Remonter le temps, et faire coïncider le contemporain avec l’ensevelissement de l’histoire, c’est peut-être ce qu’indique le paradoxe du titre. Il ne renvoie en aucune façon à une autobiographie intime, mais, bien plus ample, et risqué, au devoir de réécrire, et de porter, l’histoire dont il est le fruit.
Jean-Pierre Rehm