Saigon, été. Une réalisatrice japonaise se prépare à tourner un film, quand son acteur principal disparaît. Voilà à quoi pourrait se résumer le film de Chun Wang et Hikky Chen. Mais Sappukei est bien plus que ça : jeu de pistes, film de fantômes, réflexion sur la création, invitation au voyage. Sur les traces de ces ombres – lui, disparu avant même qu’on ne l’ait vu, elle présente seulement par la voix – et les doux accords d’une guitare sèche s’esquisse un récit erratique et mélancolique, tâtonnant parmi les manques. Comment filmer l’absence ? En jouant des écarts. Le duo de réalisateurs s’amuse à resignifier les décors et à mettre en scène la disparition dans des plans évidés, dépouillés de toute présence humaine. Une porte s’entrouvre mystérieusement dans le fond d’un studio de danse, une bouteille surgit de nulle part et vient se briser sur des escaliers, un voile blanc flotte au milieu d’un aiguillage. Libre au spectateur d’imaginer, ici et là, la présence des deux fantômes, ou de voir leurs traces dans les corps de ces anonymes filmés à la dérobée. Écarts à nouveau. Entre fiction et documentaire, entre projection et réalité, entre passé et présent. Sappukei semble vouloir dire que, malgré le manque, il faut persévérer et continuer de créer, quitte à effectuer des gestes énigmatiques, qui questionnent autant qu’ils signifient. Comme ces deux mains qui réunissent au milieu de l’image des planches rectangulaires égales, montrant des halos de lumière. Par la puissance évocatrice des images et des sons, ce film sur les possibles du cinéma convoque l’invisible et invite à ouvrir le regard. On le lit en ouverture : « En fin de compte, c’est seulement quand elle partit qu’elle réalisa que tout semblait déjà être complet, tout attendait juste d’être découvert. »
(Louise Martin Papasian)