Il Siciliano, Il Siciliano

Carolina Adriazola, José Luis Sepúlveda, Claudio Pizarro

Chili, 2017, Couleur, 82’

Tout se déroule pratiquement dans un seul lieu: la maison, à la fois commerce et usine de perruques où Juan Carlos Avatte, alias El Padrino, a atteint, à ses 75 ans, une gloire mondaine.
Autour de cette maison à plusieurs étages et de son propriétaire, décor et centre d’une fête ininterrompue célébrant la victoire de la vie sur la mort, de l’hirsutisme sur l’alopécie, gravite l’univers bohème santiaguin : chauffeurs et sicaires, imitateurs de Julio Iglesias ou Camilo Sesto, strip-teaseuses aux projets pédagogiques ambitieux.
Et si la maison-salle des fêtes d’Avatte fonctionnait comme un renversement, un miroir déformant — ou peut-être seulement obscène — de la société de marché chilienne et de ses logiques extractivistes et néolibérales, avec son capo soutenu par un réseau clientéliste de parasites et de flatteurs. Microcosme rongé de la base au sommet, comme dans ce faux raccord qui relie les eaux usées de la fosse septique de la maison au débouchage de champagne à l’étage supérieur. Alors peut-être trouverions-nous un sens au spectaculaire assaut armé sur la maison d’Avatte, au cours duquel des centaines de perruques furent dérobées et dont le mobile n’a jamais pu être élucidé.

Manuel Asín

Rétrospective

Carolina Adriazola & José Luis Sepúlveda

Rarement montrés en dehors de l’Amérique latine, les films des Chiliens Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda composent l’une des œuvres les plus inclassables et stimulantes du cinéma contemporain. Du viscéral El pejesapo (2007) au sauvagement virtuose Cuadro negro (Grand Prix du Festival Punto de Vista 2025), nous présentons ici la toute première rétrospective d’ampleur de leur travail en Europe.

Leurs premiers films, irréductibles aux catégories de fiction ou de documentaire, peuvent être vus comme des radiographies du malaise qui a engendré les mobilisations de 2011 et le soulèvement de 2019 au Chili – pays où subsistent, depuis la dictature militaire (1973-1990), d’abyssales inégalités sociales. Alignés sur les mouvements qui, ces dernières décennies, ont donné corps au mécontentement populaire, hostiles à la pression d’un néolibéralisme parmi les plus violents au monde, Adriazola et Sepúlveda n’ont jamais travaillé pour le marché. Au contraire, ils ont mis en place des processus de production et de diffusion autogérés et horizontaux, comme le FECISO-Festival de Cine Social y Antisocial, qui depuis 2007 apporte le cinéma aux communautés périphériques, ou la Escuela Popular de Cine, qui, depuis quinze ans, génère collaboration et création au sein même de la communauté, de manière gratuite.

Le cinéma d’Adriazola et de Sepúlveda se risque sur des terrains glissants, dans des régions obscures, où la fiction n’ose habituellement pas s’aventurer. Il développe des procédés performatifs hétérodoxes et s’attaque, avec rage et humour, aussi bien à la supposée hiérarchie de part et d’autre de la caméra qu’à l’immuabilité des rôles sociaux et culturels. Comme l’a souligné le chercheur chilien Iván Pinto, nous ne sommes pas très éloignés de ce que serait la corrosion métadiscursive du cinéma politique chez le premier Raul Ruiz, ni de la critique de la « pornomisère » chez les Colombiens Luis Ospina et Carlos Mayolo. Un geste récurrent dans plusieurs des films d’Adriazola et Sepúlveda consiste à passer la caméra à ceux qui sont filmés : manière de signaler l’impossibilité de composer le portrait complet ou définitif d’une communauté qui n’est jamais regardée de manière univoque. Manière aussi de destituer toute frontière entre le dedans et le dehors et, avec elle, toute distance accommodante. La singulière puissance politique des films d’Adriazola et Sepúlveda, réfractaire à toute cristallisation idéologique, allergique à toute forme de paternalisme, n’a peut-être d’égale que celle de Glauber Rocha, qu’ils admirent, et qui appelait un jour, peut-être dans l’attente de tels films, à un cinéma qui oserait être « imprécis, diffus, barbare, irrationnel ».

Manuel Asín

Fiche technique

  • Sous-titres :
    Anglais, français
  • Restrictions :
    Déconseillé aux moins de 12 ans
  • Scénario :
    José Luis Sepúlveda, Carolina Adriazola
  • Image :
    José Luis Sepúlveda
  • Montage :
    José Luis Sepúlveda, Carolina Adriazola
  • Son :
    Carolina Adriazola, José Luis Sepúlveda
  • Production :
    José Luis Sepúlveda (mitomanaproducciones@gmail.com), Carolina Adriazola (mitomanaproducciones@gmail.com)
  • Contact :
    Carolina Adriazola (Neiro producciones)