Le dernier film à ce jour d’Adriazola et Sepúlveda est une summa qui réunit certains des motifs de fond de leur travail : l’écart entre la personne et le masque, et comment cet intervalle peut être exploité pour produire des situations anarchiques et déstabilisantes où les frontières entre le simulé et le réel sont démolies par une satire si féroce qu’elle ne semble plus en être une. Dans Cuadro negro, un proyecto infernal – la production d’un «documentaire artistique» sur l’armée chilienne – sert de cadre fabulateur au portrait non seulement de sa protagoniste — autre personnage féminin mémorable dans la filmographie du duo (la remarquable Sofía Paloma Gómez) — mais de toute une société. Ce pays traverse une crise systémique, et chaque plan respire un air de catastrophe. Le personnage principal fonctionne comme un pivot autour duquel tournent les positions les plus antagonistes que puisse produire une société : d’une grand-mère qui se sent surveillée et craint pour sa vie, comme sous la dictature, à un groupe de vieilles dames nostalgiques du pinochetisme. Le travail de documentariste de Sofía lui permet de donner des ordres aux soldats, mais la plonge aussi dans une atmosphère humiliante. Cette polarité et la vocation historienne du film sont bien introduites par le double sens du titre : Cuadro Negro fait référence à l’unité acrobatique équestre la plus ancienne de l’armée chilienne, mais aussi allusion à un événement absent, occulté, tellement macabre qu’il ne peut être montré.
Manuel Asín