Mitómana, Mitómana

José Luis Sepúlveda, Carolina Adriazola

Chili, 2009, Couleur, 100’

Les farces sont faites pour être jouées sur des planches sales, devant des décors peints qui n’ouvrent que sur des paysages délavés et des slogans vagues. C’est le cadre de la séquence d’ouverture, où le faux clown Tilusa est démasqué par le personnage de Nora Díaz (Yani Escobar), actrice authentique. Mais le véritable décor de ce film, ce n’est pas la scène, c’est la rue. Et si ce qui s’y déroule ressemble à du théâtre, c’est peut-être parce que nous avons fini par confondre ce qui est sacré et vrai avec du faux.
La « mitomanie », ce défaut professionnel improbable chez un acteur ou une actrice, consiste à prendre ses propres mensonges pour des vérités. Suspension de l’incrédulité inhérente au pacte scénique ? Ou contrat faustien que nous signons tous en venant au monde ? Le parcours du personnage d’une deuxième actrice (Paola Lattus) raconte une lente et douloureuse, parfois hilarante — quoique d’un rire glacial — métamorphose. Une femme qui, comme la police, ne recule devant rien, quoi qu’elle doive voler ou quelles portes elle doive forcer pour entrer dans son rôle. Mais elle finit par prendre conscience — guidée par une fillette portant un pistolet et un ange jouant de la trompette — que, mentir ou non, jouer, c’est aussi se mettre à la place de l’autre.

Manuel Asín

Rétrospective

Carolina Adriazola & José Luis Sepúlveda

Rarement montrés en dehors de l’Amérique latine, les films des Chiliens Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda composent l’une des œuvres les plus inclassables et stimulantes du cinéma contemporain. Du viscéral El pejesapo (2007) au sauvagement virtuose Cuadro negro (Grand Prix du Festival Punto de Vista 2025), nous présentons ici la toute première rétrospective d’ampleur de leur travail en Europe.

Leurs premiers films, irréductibles aux catégories de fiction ou de documentaire, peuvent être vus comme des radiographies du malaise qui a engendré les mobilisations de 2011 et le soulèvement de 2019 au Chili – pays où subsistent, depuis la dictature militaire (1973-1990), d’abyssales inégalités sociales. Alignés sur les mouvements qui, ces dernières décennies, ont donné corps au mécontentement populaire, hostiles à la pression d’un néolibéralisme parmi les plus violents au monde, Adriazola et Sepúlveda n’ont jamais travaillé pour le marché. Au contraire, ils ont mis en place des processus de production et de diffusion autogérés et horizontaux, comme le FECISO-Festival de Cine Social y Antisocial, qui depuis 2007 apporte le cinéma aux communautés périphériques, ou la Escuela Popular de Cine, qui, depuis quinze ans, génère collaboration et création au sein même de la communauté, de manière gratuite.

Le cinéma d’Adriazola et de Sepúlveda se risque sur des terrains glissants, dans des régions obscures, où la fiction n’ose habituellement pas s’aventurer. Il développe des procédés performatifs hétérodoxes et s’attaque, avec rage et humour, aussi bien à la supposée hiérarchie de part et d’autre de la caméra qu’à l’immuabilité des rôles sociaux et culturels. Comme l’a souligné le chercheur chilien Iván Pinto, nous ne sommes pas très éloignés de ce que serait la corrosion métadiscursive du cinéma politique chez le premier Raul Ruiz, ni de la critique de la « pornomisère » chez les Colombiens Luis Ospina et Carlos Mayolo. Un geste récurrent dans plusieurs des films d’Adriazola et Sepúlveda consiste à passer la caméra à ceux qui sont filmés : manière de signaler l’impossibilité de composer le portrait complet ou définitif d’une communauté qui n’est jamais regardée de manière univoque. Manière aussi de destituer toute frontière entre le dedans et le dehors et, avec elle, toute distance accommodante. La singulière puissance politique des films d’Adriazola et Sepúlveda, réfractaire à toute cristallisation idéologique, allergique à toute forme de paternalisme, n’a peut-être d’égale que celle de Glauber Rocha, qu’ils admirent, et qui appelait un jour, peut-être dans l’attente de tels films, à un cinéma qui oserait être « imprécis, diffus, barbare, irrationnel ».

Manuel Asín

Fiche technique

  • Sous-titres :
    Anglais, français
  • Restrictions :
    Déconseillé aux moins de 16 ans
  • Scénario :
    José Luis Sepúlveda
  • Image :
    José Luis Sepúlveda
  • Montage :
    José Luis Sepúlveda, Carolina Adriazola
  • Son :
    José Luis Sepúlveda, Carolina Adriazola
  • Avec :
    Paola Lattus
  • Production :
    Carolina Adriazola (mitomanaproducciones@gmail.com)
  • Contact :
    Carolina Adriazola (Neiro producciones)