Wind, Talk To Me s’est développé à partir d’un projet photographique et filmique dédié à votre mère, qui a aussi mené à l’exposition « A Diary of Mom », créée avec votre frère Bosko. Pouvez-vous nous parler de l’idée originale derrière ce projet ?
Au début, il n’y avait aucune idée de projet ; il s’agissait simplement de passer autant de temps que possible avec notre mère, et d’essayer de la garder avec nous pour toujours grâce aux photos que nous prenions d’elle. Tout ce que notre mère a fait dans sa vie, elle l’a fait avec énormément d’amour. Quand le cancer est revenu pour la deuxième fois, elle savait qu’elle aurait besoin de tout cet amour pour rester en vie. Elle a emménagé dans une maison près d’un lac de sa ville natale, et a essayé de retrouver un lien avec la nature et de se guérir grâce à des méthodes alternatives. C’est à ce moment-là qu’elle a commencé à écouter la nature et à lui répondre en murmures.
Plus tard, après son décès, je n’arrivais pas à la laisser partir. J’ai commencé à penser à une manière de la ramener, pour qu’on puisse une fois de plus partager l’expérience d’apprécier la vie comme elle le faisait.
À ce moment-là, vous avez décidé d’impliquer votre famille pour compléter le projet. Qu’est ce qui vous a guidé pour traduire votre expérience personnelle au langage cinématique, et à atteindre une forme aussi minutieusement élaborée et rigoureuse ?
Quand je photographiais ma mère, je l’ai aussi filmée pendant une semaine. Ces moments intimes sont restés avec moi pendant longtemps, ils sont toujours là. En y réfléchissant, j’ai réalisé à quel point ma mère était unique, et que si je faisais un film sur elle, elle allait devoir y apparaître. Sur cette réflexion, je savais que si j’utilisais du contenu avec ma mère, cela n’aurait pas de sens d’y mêler des acteurs, l’authenticité de ces moments ne pouvait simplement pas être reproduite. Puisque j’apparais dans une partie des images et que ma voix fait partie des conversations avec elle, il est devenu clair que si ma mère était dans le film, le reste de ma famille devait y être aussi. Ça a été une décision délicate. Même si mon frère et moi avions pris beaucoup de photos de notre famille, et qu’ils avaient l’habitude d’être face à la caméra, nous ne savions pas comment ils allaient réagir au fait d’être filmés.
Pendant notre deuil, je me suis intéressé à ma famille, j’ai écouté leurs histoires, leurs rêves, leurs souvenirs et même leurs conversations de tous les jours, en les observant et les photographiant tout du long. J’ai aussi commencé à enregistrer le son de nos conversations. Alors que je révisais tout ce contenu, j’ai cherché des connections, en reliant les images documentaires avec des vieux souvenirs, des rêves, et des pensées et émotions que ma famille partageait à propos de ma mère. Au même moment, je réfléchissais à qui ils étaient en tant que personnages. Au cinéma, il est impossible de capturer une histoire humaine en entier ; on sélectionne toujours des fragments de la vie de quelqu’un pour les représenter. J’ai considéré avec soin les parties de leur vies les plus percutantes, pas forcément les plus significatives, mais celles qui se démarquait le plus pour moi pendant cette période.
Comment s’est déroulé le processus d’écriture dans ce contexte ?
Pour commencer, j’ai révisé le contenu avec ma mère, en me concentrant sur les scènes les plus impactantes et les écrivant pour créer une impression de structure et de direction pour le film, ça a été ma première étape. La deuxième étape a impliqué d’examiner tous les enregistrements sonores avec ma famille et essayer de trouver des connections. J’ai écouté avec intention, transcrit les enregistrements et réfléchi aux moments les plus significatifs. Par exemple, mon grand-père a partagé 10-15 histoires, et je me suis concentré sur sélectionner celles qui résonnaient le plus avec les scènes de ma mère. Très tôt, j’ai pris une décision importante : je ne voulais pas que le film parle du passé et du présent. La manière dont ma mère parle de la vie et de sa connexion avec la nature est profondément poétique, et je voulais capturer cette poésie dans le film. Oui, j’ai construit une structure pour le film, mais ce n’était pas de la fiction, c’était un récit élaboré avec soin et ancré dans des souvenirs authentiques recueillis auprès de ma famille. Mon but a été de créer un sentiment d’intemporalité, qui permet au public de ressentir l’histoire sans la percevoir comme divisée entre « passé » et « présent ». Je voulais qu’il sente, comme nous, que ma mère est toujours là, que son esprit vit à travers et à l’intérieur de nous.
Pouvez-vous nous parler de la méthode de travail utilisée sur le tournage avec les membres de votre famille ? Quelle place était laissée à l’improvisation pendant le tournage ?
Même si ma famille savait ce qui allait se passer dans le film, je ne voulais pas qu’ils lisent un scénario ou qu’ils interprètent exactement ce qui était écrit, même si cela se basait sur leurs propres mots. Prononcer les lignes mot par mot n’aurait pas été naturel, donc j’ai choisi de reconstruire les scène, tirant l’inspiration de moments réels pour les recréer à l’écran. Quand je travaillais avec ma famille, j’ai dû les guider avec soin, donner une direction à une personne tout en m’assurant que les autres pourraient répondre de manière naturelle. Il y avait un équilibre délicat entre rester ouvert à ce qui se passe face à la caméra et garder le contrôle pour que les scènes restent cohésives. Puisque nous ne sommes pas des acteurs professionnels, c’était essentiel de « ressentir » sincèrement les scènes alors qu’elles se déroulaient. J’avais besoin de savoir que ce que nous capturions avec la caméra reflétait notre vie de tous les jours, que ma famille était bien eux-mêmes, tout en préservant les connexions émotionnelles que j’avais imaginé. J’ai dû créer un équilibre entre la structure du contenu écrit et le flux naturel des scènes, en m’assurant que tout paraissait réel tout en restant connecté au récit global. Il y avait de la place pour l’improvisation, mais je savais que trop compter dessus rendrait plus difficile la création de connexions fortes pendant le montage.
Lija, le chien, porte un rôle symbolique et narratif sur plusieurs plans. Comment en êtes-vous arrivé à inclure sa présence dans l’histoire, et quel signification incarne-t-elle pour vous ?
Lija est apparue dans ma vie quelques mois après tout ce qui s’est passé avec ma mère, et elle a directement fait partie de la famille. À ce moment-là, j’avais besoin de prendre soin de quelqu’un et, d’une certaine manière, j’avais aussi besoin que quelqu’un prenne soin de moi. Les derniers mois de la vie de ma mère avaient été extrêmement intenses. C’est pour cela que c’est dur pour moi de mettre des mots sur ce que Lija représente, puisqu’elle est beaucoup de choses. Comme l’était ma mère.
Dans le film, la nature n’est pas un simple paysage mais une présence vivante, centrale profondément connectée à la philosophie de vie de votre mère. Quels principes vous ont guidés pour la représenter ?
Le motif de la nature reflète la philosophie de vie de ma mère, une métaphore pour sa manière de communiquer avec le monde, comme si elle parlait au vent. Le long de ce processus, passer du temps avec elle et faire ce film, je me suis surpris à réfléchir plus profondément aux grandes questions de la vie. Ce n’était pas simplement les conversations que nous avions ou être témoin de sa lutte contre la maladie, mais plutôt la manière dont elle voyait et tenait à la vie qui est restée avec moi. Cette perspective m’a donné la force de saisir et aimer la vie plus pleinement. C’est pour ça que l’idée de « parler au vent » me paraît si significatif, c’est une belle manière de voir le monde.
Propos recueillis par Mario Cipollini