Vitanuova signe votre retour à l’animation. Où réside votre intérêt pour le stop-motion ?
Pour moi, il n’y a pas de réelle différence entre l’animation et la prise de vue à une fréquence plus « naturaliste ». Les différentes cadences de tournage sont autant d’options créatrices qui sont une chance pour le cinéma. Quand vous filmez en stop-motion, vous intervenez entre chaque image, alors que si vous tournez à 24 images par seconde, vous choisissez de ne pas intervenir – c’est la seule différence. Il s’agit de choix esthétiques. C’est comme cela que j’aborde le processus créatif en général. Ce que j’aime particulièrement dans le stop-motion, ce sont les libertés que cela donne à la production, notamment celle de filmer avec des objets et des choses non-vivantes. Je trouve que cela offre davantage de possibilités. Je peux filmer avec des ressources limitées en tirant le meilleur parti des éléments que j’ai à disposition. Le stop-motion est idéal pour tourner avec une équipe très réduite, parfois même seul, et avec peu de moyens.
Est-ce que vous tournez à partir d’un scénario ? Comment avez-vous conçu ce personnage de marionnette ?
Non, je n’avais pas de scénario. Le film était une commande de FINUCAM, un festival au Mexique. J’avais un budget et des délais impartis. C’était un jeu très amusant. Je suis parti d’un cadre très simple, une sorte de fable pour enfant. L’idée était de travailler à partir de la structure la plus simple possible, et de tisser la complexité au fur et à mesure. Comme lorsqu’on invente les règles d’un jeu. J’ai imaginé le film comme un objet, un message dans une bouteille venue du futur, d’une forme de conscience dont on ne sait pas bien si elle est humaine ou non, mais qui a un message destiné à l’humanité. C’était l’idée de départ. Si cette conscience voulait s’adresser à nous comme on s’adresserait à un enfant, elle devait donc chercher à le faire dans un langage que nous pourrions comprendre. Cette marionnette était donc là pour recevoir les messages venus de cette super-intelligence. Quant au message, c’était un message d’amour et d’espoir. Voilà quels étaient les éléments de départ, très simples – et la forme est venue ensuite, en faisant.
Vous mélangez des techniques traditionnelles (comme l’argile) et le format 16mm avec des outils numériques modernes. Ce croisement vous intéresse ?
Oui, le film mélange l’argile, le 16mm, les algorithmes, le stop-motion, ainsi qu’un hologramme artisanal que nous avons réalisé à partir d’un écran et de plexiglas. J’aime beaucoup cet éclectisme, le mélange d’éléments disparates selon plusieurs combinaisons différentes, dont on ne peut pas prévoir le résultat à l’avance. Si les éléments ont l’air a priori de ne pas aller ensemble, c’est encore mieux. J’ai cette espèce de curiosité naturelle qui me pousse à voir ce que les choses peuvent donner en s’associant. J’anime un atelier avec des étudiant.e.s, dans lequel règne cet esprit d’aventure, de risque ; on avance sans savoir où on va, et c’est excitant. C’est un état d’esprit qui génère une curiosité contagieuse. On s’amuse et on expérimente en permanence à partir de ces différents éléments, sans savoir ce qui fonctionnera ou pas. C’est à la fois drôle et stimulant. Beaucoup de tentatives échouent, et on doit donc écarter beaucoup de choses en cours de route, mais peu à peu, au croisement des matériaux et des techniques, une voie s’ouvre, et le film se met à prendre forme d’une manière organique, légère.
Votre histoire est une dystopie, qui a la fausse simplicité d’une fable. Cette dimension est importante pour vous ?
Oui, il s’agit d’une fable très simple, dans le sens où je l’expliquais à l’instant. J’ai imaginé cette forme de conscience qu’on ne comprendrait pas, située au-delà de notre entendement, une conscience qui serait potentiellement capable de percevoir d’autres dimensions, une autre réalité que celle que nous connaissons. Et cette conscience essaie de parler dans un langage qu’elle estime que nous pourrons comprendre, presque comme si elle parlait à des enfants. Non pas de manière condescendante, mais pour s’assurer d’être comprise. Il s’agit d’un effort de communication. Elle s’empare donc d’un modèle narratif simple, qu’elle aurait pu emprunter à nos mythes, à nos histoires traditionnelles. C’est un récit court, avec un début, une fin, et beaucoup de questions. Je trouve que la différence est parfois très mince entre ce qui paraît naïf, simpliste, sans conscience réflexive, et des expériences plus profondes sur le plan émotionnel, humain. Et cette proximité m’intéresse de plus en plus. D’ailleurs, en réalité, ce n’est jamais l’un ou l’autre, mais plutôt les deux à la fois.
Dans Vitanuova, sons et couleurs travaillent ensemble pour nous immerger dans un univers de sensations ; cette dimension est importante pour vous ?
Oui, pour moi les éléments sensibles sont aussi importants que les éléments narratifs, le sujet, le langage visuel, etc. Le rythme, la vision, la sensation sont extrêmement importants. Peut-être les plus importants, même, s’ils s’articulent de la bonne façon. Et les options sont multiples ! par exemple, si le récit et les personnages suivent une certaine direction, les éléments sensoriels peuvent faire beaucoup plus que les compléter, et nous entraîner vers d’autres espaces, plus souterrains, moins conscients. J’ai tendance à concevoir les films comme des morceaux de musique, en particulier les films courts. La musique a une dimension émotionnelle et sensorielle très directe, parce que les sons occupent physiquement l’espace et agissent sur nous sous la forme d’ondes. Les sons d’un film sont une matière que l’on sent dans son corps, par des vibrations dans la poitrine, dans les mains, dans le sang.
Le titre ‘Vitanuova’ semble faire référence à Dante ; est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
« La Vita nuova » est la première œuvre de Dante. C’est un recueil de poèmes d’amour qu’il a publié quand il était encore un jeune homme. C’est aussi un livre très étrange, et étrangement conçu pour une œuvre de jeunesse. Dante a d’abord compilé des poèmes qu’il avait écrits à une certaine époque pour Beatrice, la femme qu’il aimait, et dont on ne sait même pas très bien si elle a existé en dehors de son imagination. Mais ensuite, au lieu de composer simplement un recueil à partir de ces poèmes dédiés à Beatrice, il a conçu son livre comme une longue série de commentaires de ses propres poèmes. C’est très bizarre. C’est une œuvre qui a donc largement trait à la mémoire, en fait. Et la première citation du livre, dont j’ai oublié la formulation exacte parce que je suis nul pour ce genre de choses, c’est quelque chose comme : « Dans le petit livre de ma mémoire, j’ouvre les premières pages, et je trouve ceci… » – et le livre commence. Il est écrit : « Incipit vita nuova », c’est-à-dire : début d’une vie nouvelle. Mon court-métrage n’a rien à voir avec ce livre. Mais c’est une œuvre qui m’a marqué quand je l’ai découverte, il y a déjà longtemps, à cause de la façon dont Dante relie l’amour à la transformation spirituelle, au renouvellement de la vie, de l’espoir…. Je crois qu’il n’existe pas de plus haut mobile pour l’œuvre d’art que d’être dédiée à l’amour, et au pouvoir de l’amour de générer une vie nouvelle.
Propos recueillis par Nicolas Feodoroff