Votre film marie un intérêt pour les paysages martiniquais et une certaine jeunesse sur l’île. Quel est votre rapport à la Martinique ?
Je suis originaire de la Martinique mais je suis née et j’ai grandi à Paris. Ce qui me lie le plus fortement à la Martinique ce sont avant tout des souvenirs d’enfance et ce sont eux qui ont forgé cet intérêt pour le paysage. J’avais la chance de pouvoir y aller régulièrement — soit avec ma mère, soit grâce aux congés bonifiés de mon père. Avec le temps, j’ai accumulé beaucoup de cartes postales et c’est notamment de ça que je suis partie en commençant à travailler. Puis, je suis retournée en Martinique en 2021, pour voir ma grand-mère dont je suis très proche, après une dizaine d’années sans y être allée. Filmer la jeunesse était pour moi une évidence, peut-être parce qu’il y avait un manque de toute cette période où je n’avais pas pu m’y rendre.
Qui sont les protagonistes de votre film ? Comment avez-vous travaillé avec elles·eux ? Y avait-il des sujets de discussion prédéfinis ?
J’ai eu la chance de rencontrer Calí, Coraline, Amanda, Naisha, Shanelle, Giovanny et Fiona par le biais de Rita Ravier avec qui elles·ils prennent des cours de théâtre. Elles·ils sont ami·e·s dans la vie de tous les jours et j’ai été très impressionnée par leur complicité, leur générosité et leur humour. Les choses se sont donc dépliées assez naturellement. J’avais un scénario que je savais déjà que je n’utiliserai pas beaucoup puisque je souhaitais travailler à partir d’improvisations. J’étais aussi consciente que j’avais beaucoup de choses à apprendre d’elle·eux, il fallait que je reste flexible et poreuse.
Évidemment, j’avais aussi une idée précise des thématiques que je souhaitais aborder dans le film que ce soit de manière frontale ou non. Les répétitions informelles que nous avons organisées ont été un très bon moyen de faire évoluer l’écriture du projet qui s’est alors nourri des anecdotes et des gestes de chacun·e.
Pouvez-vous nous parler des enjeux du montage ? A quelles questions vous êtes-vous confrontée pour construire le portrait de cette jeunesse martiniquaise ?
J’ai monté le film avec Eva Studzinski qui a elle aussi des attaches à la Martinique. Je pense que ça a simplifié beaucoup de choses au moment du montage. Par exemple, je n’avais pas envie de tout expliquer comme ça peut parfois être le cas dans le documentaire. Et puis, certains questionnements qui étaient déjà très présents en amont du tournage ont perduré pendant la post-production, notamment sur les questions de l’image et de l’exotisation liées aux représentations des îles. Ça me semblait un peu risqué de monter le film à Paris avec une personne qui n’avait jamais mis les pieds en Martinique.
Étant donné qu’il n’y a pas forcément une narration claire et classique dans le film, le film est vraiment né au moment du montage. Nous devions trouver un équilibre entre les paysages et le groupe mais aussi un équilibre dans notre propos : célébrer la complexité et la richesse des Antilles mais aussi parler des problématiques post-coloniales et décoloniales.
Vous avez insufflé au film un rythme très particulier travaillé par le traitement sonore. Pouvez-vous nous parler de vos partis pris et de votre approche du son ?
Je voulais mettre en scène une île à moitié hantée, jouer sur le côté carte postale qu’on accole toujours aux endroits comme la Martinique, jouer sur un côté « magique » et surnaturel mais tout en gardant une veine naturaliste. Pour moi, c’est un endroit chargé : chargé en mémoire, en souvenirs, en couleurs, en sons.
Nous avons tourné la première partie du film en équipe très restreinte, à deux, avec Nino Defontaine à l’image et moi au son avant qu’Alexandre Pastel prenne le relais. Il n’était pas nécessaire que nous soyons synchronisés, plus simple d’ailleurs que nous ne le soyons pas pour des questions d’organisation. Les ambiances enregistrées à ce moment-là ont ensuite été utilisées de manière assez libre au moment du montage image et du montage son. Le montage son a été réalisé par Yohei Yamakado qui est artiste et cinéaste. J’avais déjà été interpellée par son travail autour du son en voyant ses films et sa vision a beaucoup apporté au film.
Pourquoi le pluriel au titre ?
À la genèse du film, il y avait ce besoin de parler de tiraillement. Selon moi, il y a plusieurs Martiniques différentes. Il y a la Martinique des Martiniquais·e·s né·e·s en Martinique, celle de celle·ceux qui sont né·e·s en métropole, celle de celle·ceux qui sont né·e·s en Martinique mais qui ont grandi en métropole ou ailleurs. Et puis il y a la Martinique de l’OJAM, celle des Békés, celle des touristes, celle des enfants du Bumidom etc. Je pense que le film aurait été différent si j’avais grandi en Martinique et que le film expose un besoin de détachement vis-à-vis de la métropole mais aussi une mise en avant des liens existants au sein même de la zone Caraïbes et Latinoaméricaine.
Entretien réalisé par Claire Lasolle