Zarata associe différentes séquences, dont certaines abordent les conditions de réalisation d’un film et semblent directement inspirées par votre propre expérience. Cette dimension était-elle présente dès le début du projet ? Pouvez-vous nous parler des différentes étapes de l’écriture du film ?
Oui, mon film reflète ma propre expérience. J’imagine que le vécu d’un·e cinéaste transparaît toujours dans son œuvre. Il est impossible de séparer la vie du cinéma. Le personnel est politique, et il le sera toujours.
J’ai d’abord écrit l’histoire de June et Marian, deux amies qui s’entraident du mieux qu’elles peuvent, qui s’envient aussi, comme c’est souvent le cas, mais qui font route ensemble. Marian s’inspire de l’expérience de June pour écrire une pièce. C’était le point de départ. Puis j’ai réalisé que pour mieux les comprendre, il fallait aussi montrer l’homme dont elles parlent, un être totalement narcissique, qui fait des films comme il est dans la vie. J’ai compris que c’est ainsi que fonctionne le système de production cinématographique. Je suis partie du petit, du quotidien, pour finir par montrer comment tout un système est généré.
2) Vous plongez vos deux actrices dans un jeu de conversation souvent asynchrone. Comment avez-vous travaillé les dialogues avec elles ? Avez-vous improvisé pendant le tournage ? Avez-vous fait des lectures du scénario au préalable ?
Je pense qu’il n’y a rien de plus difficile que d’être synchrone, de savoir ce que l’on ressent au moment où il nous arrive quelque chose. J’ai enregistré des scènes sonores, sans les images, avec elles.
Pour moi, le film était une conversation dans laquelle on ne dit pas ce que l’on veut, mais ce que l’on peut. J’ai partagé des films de Cassavetes, dont le son est le résultat d’un mélange d’improvisation et de problèmes techniques. Mais avant tout, mes conversations quotidiennes sont des messages audios avec mes amis, pas de réelles conversations, ce qui fait que les dialogues sont un peu décalés. Et cela explique aussi la mauvaise qualité du son. Aujourd’hui tout ce que j’écoute a une qualité sonore médiocre : le téléphone portable, l’ordinateur… C’était très important : le bruit comme une mauvaise qualité sonore.
3) Le film commence et s’achève sur les images d’un cheval. Cet animal a-t-il une signification particulière pour vous, ou dans la culture basque ? Pourquoi avoir choisi l’univers des courses hippiques pour la séquence d’ouverture ?
C’était une façon d’aborder le thème de la compétition. De la compétition constante qu’est le cinéma : les subventions, les aides au développement d’un projet, les festivals. Et c’est ainsi que ce mouvement s’est imposé : avec l’étude d’un cheval. Tout est un jeu d’optique. Et je me suis aussi inspirée de mon expérience personnelle : quand j’étais petite, j’allais voir mon père s’entraîner sur le champ de course.
4) Le film alterne entre l’espagnol et le basque. Expliquez-nous la logique derrière cette répartition.
Je fonctionne ainsi dans la vie : je passe sans cesse d’une langue à l’autre. Et je ne voulais pas faire un film exclusivement en basque, parce que ce n’est pas fidèle à la réalité. Dans le film, Marian et June n’arrivent pas à trouver les mots en basque pour parler d’une pratique sexuelle. Au Pays basque, parler, écrire et faire des films en basque est une décision politique.
5) Pourquoi avoir fait le choix d’un noir et blanc, sobre et sérieux ?
Parce que c’est très théâtral. Comme si je plantais le décor. J’ai tourné l’intégralité du film autour de chez moi. J’écris des textes et je vois ce qui se passe. Le format 2:35 est fait pour des choses beaucoup plus « belles », ou pour des paysages, et quand on l’utilise pour parler de choses anodines, dans des décors dépouillés, la moitié de l’image est inutilisée. C’est comme si mes histoires étaient plutôt adaptées à un format 4:13, mais que j’insistais pour les rendre plus grandes qu’elles ne le sont en réalité en les racontant de cette façon.
Propos recueillis par Claire Lasolle