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X14

Delphine Kreuter

Liz, la trentaine, vit dans son appartement de banlieue parisienne avec son chat et son robot domestique. Entre un Godldorak pacifiste et une créature protectrice sortie du Studio Ghibli, crête tendance punk et deux leds bleues en place des yeux, X14 s’occupe du foyer.Il est mélomane, affectueux et un poil jaloux. Elle, grande, mince, peau diaphane et regard translucide, vit avec un cœur artificiel et attend une greffe sans trop y croire. Une princesse cyborg avec un (vrai) problème de cœur. En mini short, collants noirs et sweat à capuche,un arsenal électronique de batteries accrochées autour du torse, façon Lara Croft le jour et Fantômette la nuit, l’héroïne badass enchaîne les date Tinder sans grande émotion et affronte la vie tant bien que mal. Le quotidien de Liz et X14, plutôt réglé, se voit bouleversé quand débarque Harvey, joyeux trentenaire loufoque, prince charmant romantique bien décidé à prendre sa place aux côtés de la princesse malade. Empruntant les codes narratifs du conte, X14 développe son intrigue autour de son héroïne, forte et tragique, et de personnages secondaires hauts en couleur – voisin farfelu en quête spirituelle, mère exaspérante à travers l’écran du téléphone, chirurgien asthmatique débordant d’enthousiasme – incarnés avec réjouissance par Denis Lavant, Jeanne Balibar et Emmanuel Salinger. Dans une esthétique lo-fi pleinement assumée, alliée à un montage nerveux, la caméra de Delphine Kreuter virevolte,se cogne, alterne entre vues objectives et vues subjectives du robot, nous promène d’un endroit à l’autre d’un Paris périphérique et gris. Concentré d’énergie vitale, X14 est un film aussi surprenant qu’explosif, à l’image de cette boule de feu propulsée par son héroïne, un Kamé Hamé Ha tout droit sorti d’un épisode de Dragon Ball Z, qui emporte le film dans un mouvement final ravageur.
(Louise Martin Papasian)

Entretien avec Delphine Kreuter

Votre troisième long métrage, après 57 000 km entre nous (2007) et Dubaï Flamingo (2011), imagine aujourd’hui la vie quotidienne d’une jeune femme avec un robot, X14. Comment s’est développé ce postulat qui apparaît naturel dès le début ?

J’ai eu l’idée d’une femme et d’un robot en 2008. Je m’intéressais aux relations virtuelles, à la modernité qui trompe la solitude et comble un manque comme peut le faire la religion. J’ai toujours photographié des poupées, au départ il y a eu le désir d’image. Faire exister un personnage non humain, sans que ce soit de la science-fiction, sans explication artificielle lourde, sans modifier le contexte de l’ici et maintenant et sans effets spéciaux ! Le pari quoi ! Mais on est comme des gosses, même sur le tournage, on y croyait, il était là !

Comment avez-vous imaginé X14 qui est émouvant et drôle dans son interaction avec le monde ?

C’est un vrai personnage. Déjà, avec Camille Fontaine qui m’a aidé à écrire, on avait de plus en plus envie de le retrouver, il devenait de plus en plus attachant, mignon, gauche, inquiétant. J’ai toujours imaginé qu’il avait une crête. Quand on a trouvé la vraie fourrure avec Fabrice Lorrain, c’était évident. La crête est un symbole de liberté, de contre-culture et d’animalité. Comme si la machine pouvait avoir, inscrite en elle, une zone d’état sauvage, endormie, qui pouvait se réveiller, s’actualiser. Ce n’est pas une histoire d’amour entre une fille et un robot, ce serait plutôt la chronique de la libération de la fille et de la machine.

Les effets spéciaux sont rares, le point de vue de X14 suffit à donner une vision étrange et poétique du réel. Comment avez-vous pensé à cette dimension fantastique à l’image ?

Il m’est tout de suite venue l’idée d’inventer la vue subjective d’X14 pour le faire exister. Nous interprétons ce qu’il voit comme si voir égal vivre, égal ressentir. Il fallait que l’on se mette à sa place pour capter son trouble et lui accorder le trouble. Ce qui nous implique aussi dans ce regard indiscret sur l’intimité de la fille. Paradoxalement, c’est une image-vérité a priori, l’enregistrement froid d’une caméra robotique.

Liz, avec son cœur artificiel, son look et sa combativité ressemble plus à un « Replicant » de Blade Runner. Comment la définiriez-vous ?

Elle joue avec la vie, et se fout de gagner la partie. Elle la provoque, la convoque. Elle veut mourir, mais c’est la folle envie de vivre qui la tient. La vie l’a écrasée de douleur, elle a perdu ses amours, l’amour même, alors elle se bat. C’est un peu une guerrière, avec son maquillage de chasseuse ! Elle est hybride, elle ressemble à X14, à une machine, ils peuvent se reconnaître en ça. L’idée me plaît que ce qui était de la science-fiction n’en soit plus avec le transhumanisme. Liz, c’est aussi une princesse qui n’a plus de cœur, comme dans un conte.

Son interprète, Lucie Cure, est chanteuse d’opéra. Comment avez-vous composé le casting avec d’autres acteurs reconnus comme Denis Lavant ou Florence Thomassin, familière de vos films ?

Quand j’ai rencontré Lucie Cure, on a sur-flashé. François Ardouvin n’est pas comédien, mais pour moi, c’était Harvey. Daniel Horn a donné vie au robot. On retrouve Florence Thomassin et Stéphanie Michelini qui jouait un père devenue femme dans mon premier long. Actrices amies. Tout-terrain ! Denis Lavant, Emmanuel Salinger, Jeanne Balibar, j’étais une fan avant de les rencontrer, c’est une merveille qu’ils aient accepté d’entrer dans l’aventure X14.

X14 traite d’une solitude aménagée. Comment avez-vous abordé ce thème ?

Je voulais que la fille n’ait vraiment plus personne pour que la présence d’X14, le rôle d’une altérité même illusoire, ou non humaine soient forts. On peut voir X14 comme une personnification poétique de la mort, qui accompagne Liz, qu’elle ne peut pas quitter. La mort est envahissante. Dans le monde de Liz, on ne sait plus ce qui est vivant ou mort, ce qui existe vraiment ou ce qui imite la vie. Ni ce qui compte, ce que l’on croit, ou la vérité. Comme au cinéma ! J’ai intégré ces personnages non organiques à l’histoire, et tous entretiennent des relations. L’aspirateur a un rôle de petit compagnon et en même temps, la mère, présente tout le long du film, n’est pas là. Nos voitures nous parlent. De toute façon, en 2022 tout est devenu vivant, ou à moitié.

Comment avez-vous réfléchi au montage avec François Gédigier ?

Comme pour mon premier long, j’ai monté le film, il l’a vu et il l’a remonté ! Il me bluffe à chaque fois, genre tours de magie. C’est parfait de travailler avec François.

Comment s’est créé l’univers sonore futuriste ?

Il fallait une identité sonore à X14, comme les humains respirent, etc. Nicolas Jorio a sonorisé ses mouvements, on a modulé des bips pour accompagner ses réactions. On a travaillé avec des fréquences électriques. Devant ses synthés, Nicolas avec sa guitare, fréquences, plus rif, plus bips : c’est devenu de la musique. Électronique-électrique. Et le bassiste Frederick Gallay de Supersonic a offert un de ces morceaux.

Dans la production du film, vous avez adopté le credo punk du « Do It Yourself ». Travailler dans cette économie légère était-elle une nécessité ?

C’est de faire le film qui était une nécessité ! Mais j’aime la liberté dans l’image des films sauvages, l’esthétique même. C’est toute une façon de faire un film. Il faudrait garder la légèreté de fabrication, mais alourdir l’économie !

Propos recueillis par Olivier Pierre

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Fiche technique

France / 2022 / Couleur / 78’

Version originale : français
Sous-titres : anglais
Scénario : Delphine Kreuter, Camille Fontaine
Image : Delphine Kreuter
Montage : François Gedigier
Musique : Nicolas Jorio, Frederick Galiay
Son : Olivier Dohuu
Avec : Lucie Cure, François Ardouvin, Denis Lavant, Jeanne Balibar, Daniel Horn, Emmanuel Salinger, Florence Thomassin

Production : Delphine Kreuter (Kinoska).

Filmographie :
Dubai Flamingo, 2011
57000 km entre nous, 2007
Marthe, 1997.