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ENJOY THE WEATHER: THE FILM

Teresa Silva

Enjoy the weather a d’abord été projet de recherche chorégraphique mené par Teresa Silva, chorégraphe et danseuse portugaise, au cours d’une résidence à Marseille (Montevideo). C’est aujourd’hui un film exemplaire de ce que peut produire de plus singulier l’alliance des arts de l’image et du corps en mouvement. Le point de départ est une lecture de La vie des plantes, d’Emanuele Coccia. Le philosophe y adopte le point de vue des plantes pour imaginer une nouvelle compréhension du monde comme système vivant reliant tous les êtres, animés et inanimés. Cette hypothèse s’incarne en une succession de tableaux dans lesquels quatre danseurs prêtent leurs gestes à des relations inédites avec l’image et le son. Un fil rouge tisse une toile entre des corps à l’incarnation flottante, dans une cour traversée par des bourrasques de vent. Quatre voix, off mais situées, se relaient pour lire un étrange conte écologique, dont le récit déroule une farandole d’êtres non humains interagissant au fil des saisons et des variations du temps qu’il fait. A l’image, deux hommes et deux femmes arpentent l’espace, leurs bras pris dans un mouvement hypnotique qui paraît débobiner et rembobiner le fil invisible du récit. Au tableau suivant, des mains accordent leurs gestes pour ranimer une nature morte. Fluctuations des surimpressions, variations des filtres d’ombre ou de couleur : d’infinies variations plastiques affectent les corps et troublent leur relation à l’espace. « L’école pourrait être tout. Toute chose pourrait être l’école » : ainsi commençait le conte. Ce qui est offert ici à nos sens étonnées n’est rien moins que le rêve ou l’utopie d’une pédagogie universelle. (Cyril Neyrat)Teresa Silva

Entretien avec Teresa Silva

Vous êtes chorégraphe et danseuse. Quelle est l’origine du projet Enjoy the weather: the film, votre première réalisation, où le cinéma et la danse se conjuguent pour expérimenter des formes et des visions nouvelles ?

Enjoy the weather: the film résulte d’un projet de recherche sur la danse, dans lequel j’ai proposé de collaborer avec les artistes David Marques, Jean-Baptiste Veyret-Logerias, Sabine Macher, Mestre André et Diogo Brito. Ce projet a été déclenché par la lecture du livre La vie des plantes du philosophe Emanuele Coccia, dans lequel celui-ci adopte le point de vue des plantes pour appréhender le monde comme un espace d’interaction métaphysique, où tous les êtres vivants partagent le même souffle. Coccia explique comment les plantes sont en exposition et communication permanentes avec le monde, et comment, pour les plantes, être dans le monde, c’est en même temps créer le monde. En lisant cela, je n’ai cessé de faire des liens avec mon expérience de la danse : danser, c’est être poreux à l’environnement qui nous entoure et être en relation avec tout ce qui existe. Une autre intention du projet était de donner de la visibilité à l’expérimentation et à la recherche comme sources d’épanouissement artistique et de production de connaissances. C’est pourquoi ce film oscille entre la dimension exploratoire d’un processus créatif et la dimension performative, se situant à la frontière entre le documentaire et la fiction. Je voulais aussi penser et manifester la recherche dans sa dimension d’écosystème, de corps commun, qui résulte d’un ensemble de relations, d’affections et d’interactions inter et extra-humaines.

Quelle est votre conception de la danse et du mouvement et comment s’est-elle développée dans ce film avec vos danseurs ?

Je vois la danse comme une entité qui transcende les corps physiques. En ce sens, mon travail consiste à rendre attentif et sensible au mouvement qui existe dans, à travers et au-delà des corps physiques. La danse manifeste, rend visible des relations déjà existantes. Ainsi, la danse est un médium entre le visible et l’invisible, entre le conscient et l’inconscient, entre le soi et les autres, qui amplifie ce qu’un corps seul peut faire. Partager cette conception avec les interprètes nous permet de nous rendre sensibles à la manière dont nous nous déplaçons et dont nous sommes déplacés de manière réciproque et continue par les autres et notre environnement. Nos pratiques dans le film deviennent un moyen de percevoir et d’agir sur un monde interconnecté, impermanent et interdépendant.

Enjoy the weather : the film, est divisé en plusieurs séquences, plusieurs rituels ou « pratiques ». Comment avez-vous imaginé ces chorégraphies et quelles valeurs ont-elles ?

Dès le début, j’ai voulu exposer le studio, montrer la recherche elle-même, pour inviter les spectateurs à voir les artistes explorer, enquêter, sentir, essayer. Et nous les voyons dans le présent de l’expérience, avec leurs réactions spontanées et leurs hésitations. D’autre part, j’ai voulu donner de l’importance à ce qui nous relie : l’air, le climat, le temps, le paysage et le son. En essayant de sentir et d’approcher ces éléments, l’équipe artistique a développé plusieurs pratiques de perception, d’attention, d’écoute, de vocalisation et de mouvement, avec l’intention de révéler l’interdépendance, la circulation, l’échange, l’interaction, la coopération et la coresponsabilité.

L’image est toujours travaillée par des filtres d’ombre ou de couleur où les danseurs en surimpression sont souvent au bord de la disparition. Pourquoi ce traitement particulier ?

Le film est conçu par la superposition de couches d’images, et c’est une manière de percevoir et ressentir l’apparition et la disparition de la présence humaine en relation avec l’environnement. Les interprètes ont une action directe sur l’image, déplaçant et manipulant des filtres de lumière et des objets. Pour moi, cela donne une dimension climatique et dévoile d’autres récits dans la relation entre les corps et l’environnement.

Au niveau du son, les voix se superposent en plusieurs couches aussi avec des sons de la nature. Comment l’avez-vous pensé ?

Les sons qui composent le paysage sonore ont été collectés pendant les résidences de recherche. Ce sont des captations de nos pratiques, de moments passés ensemble et des environnements dans lesquels nous nous trouvions (dans la nature aussi bien qu’en ville). Le paysage sonore, également composé de plusieurs couches par Sabine Macher, renforce la fusion des temporalités et des lieux. Il est conçu pour avoir sa propre autonomie, rencontrant l’image au lieu de la soutenir, soulignant la prolifération des lectures dans la relation entre l’image et le son. Le paysage sonore est également nourri par les expériences que nous avons partagées avec Mestre André, un artiste sonore portugais qui fait partie de l’équipe.

Quelle est la source de « L’Histoire de l’école » narrée à plusieurs voix et quelle portée a-t-elle ?

« L’Histoire de l’école » est issue d’un exercice de collaboration et de co-imagination. Elle a été créée par David, Jean-Baptiste, Sabine et moi, par accumulation, comme un cadavre exquis. Nous l’avons tissée avec un fil commun, en ajoutant à ce qui venait d’être dit. Puis nous avons compressé et édité la matière. Cette histoire est une invitation à penser avec d’autres perspectives, à multiplier les voix et à utiliser la fiction et la fabulation pour entrelacer affectueusement l’humain et l’au-delà de l’humain. Au cœur de l’histoire se trouve l’hypothèse selon laquelle nous pouvons apprendre de tout et de tous.

« Enjoy the weather » est le credo du film et son titre. Comment interpréter cette invitation ?

Pour répondre à votre question, j’aimerais vous proposer une citation de l’essai de Daniel Blanga-Gubbay Talking About The Weather (« Parler du temps qu’il fait ») : « Le temps [weather] n’est pas seulement la possibilité d’une connexion, mais l’impossibilité d’un isolement. » Et j’ajouterais que le titre est aussi une invitation à se rendre sensible au changement constant et à l’imprévisibilité. Ce sont des caractéristiques du temps, mais elles peuvent s’appliquer à chacun d’entre nous et à toutes les choses qui nous entourent. Et enfin, profiter du temps qu’il fait signifie : profiter de ce qui se passe.

Propos recueillis par Olivier Pierre

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Fiche technique

Portugal, France / 2022 / Couleur / 32’

Version originale : anglais, français
Sous-titres : anglais, français, portugais
Scénario : Teresa Silva,
David Marques, Jean-Baptiste Veyret-Logerias, Sabine Macher
Image : Teresa Silva
Montage : Teresa Silva, David Marques, Sabine Macher
Son : Sabine Macher
Avec : Teresa Silva, David Marques, Jean-Baptiste Veyret-Logerias, Sabine Macher
Production : Vítor Alves Brotas (Agência 25), Lou Colombani (Parallèle — Festival international des pratiques artistiques émergentes – Marseille -, dans le cadre du projet européen More Than This, soutenu par le programme Europe Créative de l’Union Européenne )
Distribution : Teresa Silva, Vítor Alves Brotas (Agência 25)

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE