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LES MUES
WATER LILY SPLIT

Grégoire Perrier

Grégoire Perrier
Qui donc s’agite dans Les Mues ? Des enfants. Et leur mère. Les clapotis de l’eau, le son des grillons, le feu et dans le fond d’une piscine transformée en bassin aquatique, un coquillage géant d’où remontent les souvenirs. En quelques plans, Grégoire Perrier dessine un chemin sensible vers Basile et Hortense, frère et soeur, à peine quelques années, au bord du langage, de son surgissement et de son invention. Il a enregistré les épiphénomènes qui rythment leur quotidien et nous convie à regarder par éclats l’enfance qui respire sous nos yeux, dans ses colères, ses jeux, ses exigences. Nous voilà plongés dans leur intimité, tenus en observation, confrontés au mystère de cette fascination qu’exerce le petit théâtre enfantin. L’enfance est ici le nom d’un jardin dont prend soin leur mère. Mutique et solitaire, elle taille, tronçonne, maçonne, construit ce jardin autant qu’elle accueille, non sans fatigue, les pleurs, les « points / poings d’amour-colère », les éruptions de tendresse. Les émotions poussent vivaces et se cultivent avec soin. Car il s’agit aussi de dévouement et d’attention dans Les Mues, seuls ingrédients nécessaires à l’épanouissement des enfants comme des plantes. Loin de toute portée moraliste et édifiante, avec une attention, toujours renouvelée, portée au visage et aux mouvements de Sandrine, Grégoire Périer écrit une ode. Les Mues se déploie comme un geste d’admiration à la patience obstinée qui préside à la construction de ce microcosme verdoyant.
(Claire Lasolle)

Entretien avec Grégoire Perrier

Vous filmez l’intimité du trio que composent Hortense, Basile et leur mère. La présence de la caméra n’est jamais ressentie. Quels ont été votre dispositif et le régime de production ? Sur quelle durée et à quel rythme avez-vous récolté le matériel permettant la réalisation de votre film ?
Le dispositif du film est d’abord affectif. Proche d’Hortense, de Basile et de leur mère, j’ai fait ce film avec eux, sans creuser une dimension psychologique et en essayant de suspendre tout jugement. Entre 2015 et 2020, je filmais dès que je le pouvais. Plus longtemps les étés. Le dispositif a changé selon chacun-e de façon intuitive et les prises de vue et de son se sont faites selon les contraintes techniques et humaines. Par exemple, un principe tacite s’est mis en place entre Sandrine -la mère- et moi. Elle n’a vu des images que tardivement et n’a rien souhaité y retirer. L’image de soi naît à la petite enfance. Avec Basile, c’était autant une complicité qu’un défi. Pour Hortense la caméra n’était d’abord qu’un objet du quotidien, comme la tronçonneuse de sa mère. La présence de la caméra influence les personnes filmées, comme le regard porté sur les autres. Et ce phénomène s’accentue d’autant plus avec les enfants, notamment les peurs, par exemple d’une chute. J’ai donc beaucoup projeté et même cristallisé. J’ai surtout voulu montrer les sensations en soulignant une candeur. Sébastien Téot, le producteur, a su lier création et financement avec intelligence. Il a ouvert les possibles au lieu de formater, en m’encourageant toujours à suivre mon intuition. Grâce à lui le film a pu véritablement trouver forme et consistance. L’association Périphérie et sa résidence de montage ont aussi favorisé cette temporalité de travail exceptionnelle.

Quelle a été la genèse du projet et en quoi a consisté l’écriture d’un tel film ? Avez- vous écrit un scénario ?
Depuis notre adolescence, je photographiais souvent Sandrine. Quand Basile est né, il a fait partie des images. Puis Hortense est arrivée à son tour et j’ai eu envie de réfléchir ce temps juste avant les mots. L’espace entre les corps, leurs mouvements puis la question de la parole – en tant que nécessité explosive – m’ont décidé à filmer. Je voulais rendre perceptibles les caractères entre dépendances et émancipation, saisir dans l’intimité comment les individualités se déploient et constituent la famille. J’ai dû écrire mes intentions et un synopsis, puis souvent les réviser pour que le film puisse être produit. L’écriture s’est poursuivie jusqu’au mixage.

Vous créez l’image d’un jardin d’Eden où règne une certaine harmonie. Pouvez-vous nous parler de cette analogie, qui semble consciemment exploitée, entre l’enfance et le jardin ?
L’harmonie, c’est ambigu et l’Eden du film pas si loin de l’autoroute. Sandrine prend soin des plantes comme de ses enfants, de sa famille et de ses amis. Elle jardine, elle élève. Cette analogie est portée par ses gestes continus, par ses occupations à travers les lieux qu’elle affectionne et qu’elle entretient. J’ai essayé de construire un récit qui respecte un mouvement naturel et subjectif, au fil des saisons.

Plus qu’un film sur l’enfance, vous proposez un film sur une mère aussi généreuse que fatiguée. Comment avez-vous réfléchi la place de cette mère ? Pouvez-vous éclairer le début et la fin de votre film qui montre les personnages plus seuls et silencieux ?
Sandrine a donné au film sa fragilité et sa réserve. Sa maternité est une grande aventure. Nous sommes très proches, donc j’étais souvent là. Malgré sa pudeur, elle m’a laissé filmer sa solitude et ses doutes. Dans la réalité, elle est un peu plus expansive. Avant d’avoir les enfants, Sandrine a fait un voyage en voilier. Pour le film, je l’ai accompagnée sur cette île qu’elle connaissait déjà. Le début du film souligne le souvenir comme construction. Sa fin figure un état émotionnel parallèle : tropical et insulaire. J’ai eu cette volonté de défaire la fusion en séparant les personnages et en les incluant dans d’autres dimensions. La petite enfance est cernée par ces inventions et deux nostalgies se répondent.

Le film emprunte sa forme au souvenir. Comment avez-vous construit cette structure narrative au montage ?
Je voulais fabriquer des souvenirs. Ceux de Sandrine qui devenait mère là où elle a grandi. Ceux de Basile dans sa course aux limites. Ceux d’Hortense qui découvrait l’environnement en dehors de sa mère. À travers eux, aussi un peu les miens.
Emmanuelle Gachet (monteuse image) a rejoint le projet très tôt. Elle s’est beaucoup impliquée et a eu la bonne idée de pré-monter tout ce qui nous intéressait. Cette méthode a accompagné les étapes de tournage suivantes. Nous avons trouvé ensemble et de façon très complémentaire la structure du film. Nous avons travaillé l’équilibre entre tensions et contemplation, amour et colère… Le processus était immersif et vivant.

Quels ont été vos partis pris pour construire la bande-son du film entre bribes de conversations, chansons et sons environnants ?
Je n’avais pas de connaissances relatives au traitement du son et ce n’est pas un film de parole. Ou disons que la parole est un bruit – élaboré – parmi les autres, quand il y a quelque chose à négocier, quand les besoins et la vie se complexifient. La qualité du matériau sonore récolté était assez pauvre. Pendant le montage image, j’ai souvent travaillé en noir et blanc, et parfois aussi sans son, pour prendre du recul. Avec Gloria Jacobsen (compositeur), on a cherché les morceaux ensemble, en discutant et en sélectionnant pèle-mêle des instruments et des émotions. La chanson du film, Morsures, est de Matthieu Schmittel. C’est Basile adulte qui l’interprète. Le film a pris une toute autre dimension lors du montage son. C’était pour ainsi dire une petite cabane, Rym Debbarh (monteuse son) en a fait un bel appartement avec parquet flottant et jardin suspendu. Xavier Thieulin a mixé avec finesse. J’ai beaucoup appris à ces étapes, en changeant de collègues et de vitesses de travail pour finalement trouver un équilibre.

Propos recueillis par Claire Lasolle

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Fiche technique

France / 2021 / 69’

Version originale : français.
Sous-titres : anglais.
Scénario : Grégoire Perrier.
Image : Grégoire Perrier.
Montage : Emmanuelle Gachet.
Musique : Gloria Jacobsen.
Son : Rym Debbarh, Xavier Thieulin.
Avec : Maxime Huriguen.
Production : Sébastien Téot (Cellulo Prod).
Filmographie : To the jungle, 2015. Louve, 2014.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR