C’est chose connue, le philosophe allemand Walter Benjamin, redoutant de ne pouvoir passer la frontière franco-espagnole, s’est donné la mort en septembre 1940 dans le petit village de Port-Bou. C’est chose connue aussi, le philosophe a écrit sur ce qu’on appelle un geste, et du lien de celui-ci à l’Histoire. Danseuse, chorégraphe, Rachel Benitah a choisi à sa manière, de femme, de danseuse, de chorégraphe, de rendre hommage à cette pensée et à cet épisode en filmant sa propre déambulation sur les lieux. A l’hôtel où logea Benjamin, devant la mer dans le monument de Karavan dédié au penseur, dans les paysages peut-être traversés ou contemplés par lui, sur les sentiers semblables à ceux des passeurs, Rachel Benitah fabrique face à la caméra les bribes d’un langage muet. Les phrases que ce langage articule sont laissées à l’entendement de chacun. Un corps ici décide de se faire document, de conjuguer l’hommage à l’évocation, la réflexion à la colère. De mêler le silence à la pensée, et la danse à l’Histoire.
Jean-Pierre Rehm