Le bâtonnet glacé fond à vue d’oeil sur le carrelage : deux ans après Bise (FID 2018), c’est à nouveau l’été dans un film de Lucie Pannetrat. Mais ce n’est plus son souvenir en studio. C’est l’été en vrai, sous le soleil, dans la lumière vive et le chant des cigales. Quelque part en Italie, dans et autour de la maison où vivent sa grand-mère et son chien. Pannetrat y a passé un été, le temps de fabriquer avec eux, entre peinture et cinéma, le plus vif et léger hommage à un lieu et aux êtres qui, depuis là, l’ont vue grandir et inventer son art. C’est un film haut en couleurs. Le rose, par exemple : un bout de coton entre des doigts tendus contre le ciel, un carré de lumière projeté sur le sol, une bassine de plastique au milieu de la cour, les vêtements de l’artiste travestie en Pinocchio, les nuages dans la lumière du soir, des taches, enfin, sur un carré de papier, comme si les formes colorées des nuages s’étaient imprimées toutes seules sur la toile. Peinture, cinéma, culture populaire. L’effronterie de Caravage – les ailes de l’Amour vainqueur déposées contre la cuisinière comme au fond de l’atelier –, la fantaisie de Pasolini, et les vieilles chansons d’amour, chantées par la grand-mère ou crachotées par le poste de radio. Avec ces ingrédients, Lucie Pannetrat a composé sa miniature italienne, posant des couleurs dans le plan puis disposant les plans comme des touches de couleur. Chaque plan surprend comme un cadeau inattendu, le tout fait un film comme une pochette surprise. Le ruban défait écrit le titre sur la moquette. Dolce : aucune amertume ne vient compliquer la douceur de ces douze minutes de pur amour. (C.N.)
- Compétition Flash
- 2020
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Dolce
Let the lights move away est la confrontation de deux solitudes : celle de votre ami et protagoniste, et la vôtre alors que vous le filmez. Était-ce le point de départ du film, votre première impulsion ?
Ce qui m’a poussé à faire ce film, c’est une réunion avec d’anciens amis que je n’avais pas vus depuis des années. J’ai voyagé jusqu’à Manatiales, une réserve naturelle dans les montagnes de Cordoba, pour leur rendre visite. Je pensais que nos retrouvailles seraient froides et distantes après tant d’années, mais au contraire, elles ont été très chaleureuses, et dès que nous nous sommes retrouvés, j’ai remarqué que le lien que nous avions forgé dans notre jeunesse était resté intact. Durant ces journées passées dans les montagnes à nous remémorer de vieux souvenirs, j’ai ressenti un profond sentiment de nostalgie. Cet exercice de mémoire et le paysage qui nous entourait étaient très stimulants ; j’ai réalisé que je pouvais faire un film en m’appuyant sur ces émotions.
Pouvez-vous nous parler de ce tournage dans l’isolement le plus total ? Qu’est-ce qui vous a guidé, comment votre travail a-t-il évolué, en fonction de quels principes ou de quelles découvertes ?
Le tournage a connu plusieurs étapes. J’ai d’abord voyagé avec mon ami Raúl et nous avons commencé à documenter les activités de Rapa dans les montagnes. Je n’avais pas de scénario, juste quelques notes et idées pour me guider. Dans ce genre de tournage, le temps devient vite votre meilleur allié. J’ai eu la chance de passer presque deux mois dans les montagnes et, peu à peu, j’ai trouvé une façon de tourner le film. Pendant tout ce temps, des évènements sont survenus, en dehors de la routine de Rapa, qui ont changé la dynamique du tournage. Le film a élargi ses horizons et brouillé la frontière entre documentaire et fiction. Je suis retourné à Buenos Aires avec ces images et j’ai commencé le montage. Après des mois de travail, j’ai écrit plusieurs scènes qui m’ont permis de bâtir une structure plus solide, et je suis retourné filmer. Même si cette fois, j’avais une ébauche de scénario, l’approche était la même que lors de mon premier voyage.
Vous avez choisi de montrer la routine solitaire de Rapa de façon très fragmentée, à travers des détails, des gros plans sur des gestes, des objets. Pouvez-vous commenter ce choix ?
Ces éléments me permettent d’accroître l’espace au-delà du plan. Le potentiel narratif du son hors-champ est souvent sous-estimé. J’ai tourné de façon fragmentée car je savais que cet univers serait complété par le design sonore. Il me semblait aussi que ces ressources pouvaient permettre au film de s’éloigner du strict domaine du documentaire et d’entrer peu à peu dans cet espace où la frontière entre l’imaginaire et le réel disparaît. Écouter les actions du personnage tout en montrant à l’écran des objets ou un paysage permet d’introduire une sensation fantasmatique qui favorise cette transformation progressive. C’est fascinant de découvrir à quel point des objets sont capables de réveiller des souvenirs. Les objets ont le pouvoir de nous rappeler ce que nous étions. Ce sont les témoins de notre passé, et dans le film, ils permettent d’évoquer le passé du personnage.
Le son joue un rôle important dans cette transformation progressive. Pouvez-vous nous parler du design sonore ? Avec qui avez-vous travaillé sur le son, et comment ?
Nous avons élaboré le design sonore avec Nahuel Palenque. C’est le fruit d’un long processus, car nous manquions de moyens. Dès qu’il finissait un tournage et qu’il avait quelques semaines de libres, nous nous remettions à travailler sur le film. Cela a duré plus d’un an. Nahuel a travaillé les ambiances et les sons hors champ avec un niveau de détail époustouflant ; il a fini par créer un vrai petit univers. Le son joue un rôle prépondérant dans l’aliénation progressive de l’espace.
La scène avec le feu de forêt en pleine nuit est très impressionnante. Comment l’avez-vous conçue et filmée ? Et pouvez-vous commenter cette idée de représenter le retour des souvenirs sous la forme d’un feu de forêt nocturne ?
Il y a quelques années, j’ai eu une révélation. En l’espace d’un instant, j’ai pris conscience du passage du temps, et ma perception du monde a complètement changé. Je suppose que tout le monde passe par là, à un certain moment de sa vie. Face à cette révélation, j’ai ressenti une sensation de brûlure, le désir de retrouver des choses, de vivre pleinement chaque minute. En cherchant une image pour représenter cette urgence, cette sensation, j’ai pensé à la séquence de l’incendie dans la nuit. Cette idée a peut-être l’air un brin poétique, mais ce n’est qu’une intention. Je suis certain que les spectateurs trouveront des interprétations bien plus intéressantes que la mienne pour cette séquence. Nous l’avons tournée de façon très naturelle. Dans les montagnes de Cordoba, les feux de forêt sont fréquents. Rapa a aidé plusieurs fois les pompiers à contenir un feu qui s’approchait dangereusement de sa maison. Durant mon séjour dans les montagnes, je voyais souvent des incendies au loin, et des camions de pompiers patrouiller dans la réserve. Un jour, je leur ai parlé, ils m’ont accordé une heure de leur temps, et j’ai pu filmer la séquence entière. C’était presque un miracle, tous les plans que j’ai tournés sont dans le film.
Pouvez-vous expliquer la présence du chat, et l’importance que vous accordez à sa perception ?
Le chat accompagne Rapa dans les montagnes, il est son lien avec les émotions dans cette vie solitaire. Dès le départ, je savais que le chat me conduirait au personnage, et c’est pourquoi le film commence de cette façon. Après des jours passés à observer son comportement dans la nature, j’ai pensé que ce serait beau de tourner une scène du point de vue du chat, de contempler l’espace, les oiseaux, l’univers qui nous entourait à travers son regard.
Principalement silencieux, le film comprend deux blocs importants de discours : un monologue et un dialogue. Comment les avez-vous écrits, et pourquoi ce rapport très contrasté à la parole dans le récit ?
J’ai d’abord pensé que le film ne comprendrait aucun dialogue. Mais au montage, j’ai réalisé qu’il y avait quelque chose que je n’arriverais pas à transmettre seulement en images, j’ai donc décidé d’ajouter ces deux moments où les mots prennent le dessus. C’était un vrai défi de les inclure sans abandonner le type de narration que propose le film dès le début. Mais finalement, ces deux scènes sont des éléments essentiels à sa structure.
La fin du film introduit des images baignées de lumière, presque inquiétantes. Qui les a filmées ? Étaient-elles déjà en votre possession, ou sinon comment les avez-vous trouvées ? Quelles étaient vos intentions en les incluant au montage ?
Beaucoup de ces images ont été filmées par Martín Donalisio, un ami qui joue aussi dans le film. La plupart montrent la maison mentionnée dans les dialogues, et j’ai tourné moi-même le reste des vidéos sur VHS à la même période. Sur ces images, on voit Rapa jeune et tout le groupe d’amis. Je suis retombé dessus alors que je finissais le montage. J’ai été surpris par la manière similaire de filmer, on pouvait facilement incorporer de manière organique des éléments de ces images au reste du film sur lequel je travaillais. Elles fonctionnaient comme un miroir, comme si j’avais construit tout le film sur la base de ces images d’archives. J’aimais cette idée.
Pouvez-vous nous dire comment le film a été produit, financé ?
Le film a été financé grâce à de petites contributions personnelles et à l’aide d’amis qui m’ont prêté du matériel et des heures de leur temps. Une fois le montage terminé, nous avons pu décrocher des aides de certains organismes en Argentine pour compléter la post-production.
Propos recueillis par Cyril Neyrat
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Fiche technique
France / 2020 / Couleur / HD, Mono / 12'
Version originale : français, italien.
Sous-titres : français.
Scénario : Lucie Pannetrat.
Image : Lucie Pannetrat.
Montage : Lucie Pannetrat.
Musique : Lucie Pannetrat.
Son : Lucie Pannetrat.
Avec : Rea Addolorata, Coeur d’Artichaut.
Production : Coeur d’Artichaut production (Lucie Pannetrat).
Distribution : Coeur d’Artichaut (Lucie Pannetrat).
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