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Green Thoughts

Avec Green Thoughts, le jeune William Hong-xiao Wei nous embarque pour un voyage sous les auspices de l’univers d’Emily Dickinson. En ouverture, un recueil de poèmes furtivement entrevu en guise d’indice, puis le mystère de ces vers de la poétesse tôt entendus : « Ce n’était pas la mort, car je me suis levée, Et tous les morts, allongez-vous Ce n’était pas la nuit, Car toutes les cloches ont sorti leurs langues, pour midi.». Les amoures finissantes entre deux jeunes amantes – l’une écrit, l’autre photographie – sont ici l’occasion d’une immersion dans l’image, le temps et les sensations. À la question comme à nous aussi adressée de l’écrivaine « où sommes-nous ? », la jeune photographe répond « quelque part, dans le monde », avant d’ajouter : « quelque part, dans le passé ». Depuis ces temps indiscernables s’esquisse alors à l’écran un monde flottant, tout de sensation, lent tourbillon mélancolique où la Nature est omniprésente : vent, mer, arbres, plantes. Une dérive à l’onirisme affirmé, toute d’ondulations serpentines de scènes diverses, chatoyantes, balançant des mots aux couleurs et aux sons, et pétrie d’un travail au cœur de leur matière, multiple et malaxée. Un lancinant voyage dans les souvenirs et les songes, entre rêve et sommeil – ce qu’on en capte, ce qu’on saisit, et ce qu’il en reste -, composé comme un bouquet, à la semblance de toutes les fleurs qui enluminent le film. Méditation, comme le suggère William Hong-xiao Wei avec les mots empruntés au Roland Barthes de la Chambre claire, sur le tressage des images et du temps, de la perte et du deuil. (N.F.)

Votre film Green Thoughts s’ouvre sous les auspices d’Emily Dickinson. Pourquoi cet intérêt pour la poétesse ?

Je suis fasciné depuis longtemps par certains de ses thèmes de prédilection, comme la nature, la mort et l’immortalité. Sa vie personnelle marquée par l’isolement, et le fait qu’elle ait maintenu des relations avec ses amis, ses connaissances et le monde extérieur à travers sa correspondance m’ont toujours intrigué. Curieusement, alors qu’Emily Dickinson collectait des spécimens de plantes et les arrangeait de façon artistique ou scientifique, selon la taxonomie linnéenne, j’ai moi-même passé beaucoup de temps à étudier la botanique pour me préparer aux Olympiades de biologie lorsque j’étais lycéen. La passion de la poétesse pour les plantes me permet donc de me remémorer cette époque où je disséquais des fleurs et où je ne pouvais pas m’empêcher de sentir le parfum unique de chacune d’elles. Partant de là, j’ai structuré quasiment toute la première version du scénario et du récit autour ces cinq premiers vers de son poème « I Never Saw a Moor ».

 

D’où la place que vous accordez à la nature, aux fleurs et aux plantes, jusque dans les accessoires et la décoration, ou à travers certains tableaux. Ce thème imprègne tout le film. Pourquoi cette insistance ?

Comme je l’ai dit, les expériences multisensorielles avec la végétation et la quête du savoir biologique occupent une place particulière dans mes souvenirs d’adolescence. De plus, réaliser un film décoré de plantes et de fleurs en Écosse me rappelait ma ville natale, une ville subtropicale du sud de la Chine, et d’autres pays subtropicaux en Asie que j’ai eu l’occasion de visiter. Ces endroits regorgent de plantes à feuilles persistantes, de fleurs parfumées et de fruits délicieux, autant d’éléments qui sont pour ainsi dire absents de la ville où je vis aujourd’hui. Ce qui m’intéresse, c’est justement cette dynamique entre la présence et l’absence, et entre l’expérience de la vie réelle et la création artistique. Si j’insiste sur les tableaux d’Henri Rousseau, c’est notamment parce qu’ils représentent une jungle qu’il n’a jamais vue de ses propres yeux ; ses observations dans les zoos et les jardins botaniques semblent lui suffire.

 

Vous avez tourné le film sur une île, la mer est très présente, mais les lieux ne sont jamais nommés. Pouvez-vous expliquer ces choix ?

Honnêtement, lorsque j’étais au stade du synopsis, le scénario s’ouvrait ainsi : « Été, une île isolée au large des côtes écossaises ». Et bien sûr, la majeure partie du film a été tournée dans plusieurs îles et réserves naturelles en Écosse. Mais avec le temps, il m’a semblé nécessaire de ne pas nommer ces lieux. Cette décision était tout à fait intuitive et inconsciente de ma part. Si je devais donner une raison, je dirais peut-être que c’est parce que je parcourais la philosophie de Merleau-Ponty pendant le montage du film. Je ne prétends pas tout comprendre de son œuvre, mais certains concepts comme la « chair », « l’être sauvage », ou le « monde primitif », m’ont beaucoup intéressé. Ou c’est peut-être parce que j’étais moins intéressé par le contexte social associé à certains de ces endroits. J’ai préféré prêter attention à l’existence individuelle des personnages et à leurs expériences émotionnelles. Ou bien c’est simplement parce que j’imaginais qu’un territoire primitif, sans nom, traduirait mieux le sentiment de ne pas être à sa place.

 

Les deux protagonistes sont des jeunes femmes : une photographe japonaise et une écrivaine chinoise. Comment vous sont venus ces personnages ?

J’avais envie d’explorer leurs sautes d’humeur, qui ont forgé les textures et les motifs du film, de façon tangible. Qui plus est, les personnages ont un rapport au monde très différent. Son appareil à la main, la photographe japonaise doit vraiment regarder les choses de ses propres yeux et ressentir intimement ce qui l’entoure pour pouvoir prendre une photo. Chaque fois qu’elle enclenche l’obturateur, elle doit être sur les lieux pour que son travail puisse surgir essentiellement comme une réponse immédiate au monde extérieur. Quant à l’auteure chinoise, sa présence dans le monde réel n’est pas une condition nécessaire à sa création. Pour elle, l’inspiration peut très bien venir de textes existants ou de mots trouvés dans un dictionnaire. À mes yeux, ce qu’il y a de plus intéressant dans leur rencontre, c’est la question de savoir dans quelle mesure les photos deviennent des images mentales, et l’écriture, un phénomène autoréférentiel.

 

Comment avez-vous travaillé avec elles ? Quel rôle ont-elles joué dans l’écriture du scénario ?

J’ai travaillé avec elles de deux façons. Premièrement, j’ai pris le contrôle de leurs mouvements, qui étaient parfois filmés en détail au moyen d’un objectif spécial. Deuxièmement, nous avons tous dû improviser. Je ne regardais pas du tout dans le viseur ou sur l’écran, et je leur ai demandé de considérer la caméra comme un regard bienveillant, et de réagir avec naturel. Même si toutes les répliques et certaines références textuelles étaient décidées à l’avance, le scénario était encore fragmentaire et dénué de cohérence à ce stade. Un jour, alors que je marchais le long d’un sentier côtier couvert de mauvaises herbes, les actions, les gestes et les expressions du visage des personnages me sont venus d’un seul coup. J’ai filmé la plupart des scènes en extérieur à la fin du mois d’août. Mais tous les intérieurs ont été tournés quatre mois plus tard, car j’ai dû écrire une nouvelle version du script, en partie inspirée de ce que j’avais déjà tourné.

 

Vous utilisez des formats très différents et vous manipulez l’aspect des images. Pourquoi ?

Ce collage d’images de différents formats me permet d’imiter un phénomène qui se produit dans mon esprit, à la fois pré-expressif, fragmentaire et imprévisible. Afin de mettre en avant le caractère visuel et matériel du film, je n’ai pas hésité à irriter directement la rétine des spectateurs. En manipulant ces images, je me suis senti comme un peintre, capable de modifier la forme, les contours et les couleurs des choses comme bon lui semble. J’aimerais aussi remettre en question la représentation filmique de l’espace. Traditionnellement, la photographie et le cinéma créent l’illusion d’un espace tridimensionnel sur une surface. Mais quand on observe les espaces dans la peinture de paysage traditionnelle chinoise, ou même dans de nombreux tableaux occidentaux modernes représentant un paysage, le résultat est souvent très plat, déformé et dépourvu de profondeur. Alors pourquoi ne pas accepter que l’écran de cinéma soit tout simplement une surface en deux dimensions ?

 

Vous mêlez l’histoire des deux amantes à une méditation sur le temps et les images. Pourquoi cette dimension théorique ? Était-elle présente dès le départ ?

En réalité, cet élément était présent assez concrètement dès le départ. Le point central était une rencontre fortuite qui renvoie sans doute à la finitude et à la nature fugace des choses. Peut-être parce que j’ai tourné tous les extérieurs à la fin de l’été, une longue prise en automne, et tous les intérieurs en hiver, ce processus m’a fait prendre conscience de la coordination entre les changements de saison et l’évolution émotionnelle de mes personnages. En matière d’images, il y a une longue tradition de réflexion sur la corrélation entre les images, les mots et les idées dans l’esthétique chinoise traditionnelle. Mais j’ai étudié les arts après avoir quitté la Chine, donc certains penseurs occidentaux ont aussi influencé ma pensée. Cependant, mon film est une invitation à ressentir et à méditer sur ses images, plutôt qu’une illustration théorique.

 

Propos recueillis par Nicolas Feodoroff

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Fiche technique

Royaume-Uni, Chine / 2020 / Couleur et Noir & blanc / Stereo / 28’

Version originale : anglais, français, chinois.
Sous-titres : anglais, français.
Scénario : William Hong-xiao Wei.
Image : William Hong-xiao Wei.
Montage : William Hong-xiao Wei.
Musique : Terry Peng, Alan Špiljak.
Son : Marianna Brown, Ting-An Lin, Andres Vasco.
Avec : Enyi Cheng, Eileen Zhao.
Production : William Hong-xiao Wei.
Distribution : William Hong-xiao Wei.

 

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR