• Compétition Française  
  • Compétition Premier Film

FENDAS (SLITS)

« Catarina est chercheuse en physique quantique. Elle étudie les espaces sonores cachés dans les variations de la lumière. En se plongeant dans des images qu’elle distord, Catarina découvre une nouvelle forme de spectre sonore, qui semble lui donner accès à une autre temporalité. » Ainsi Carlos Segundo, réalisateur brésilien, ramasse-t-il en deux phrases un film dont le titre ne signifie pas pour rien fentes aussi bien que déchirures ou incisions.
On comprend dans ce résumé à l’allure aussi lumineuse que la manière,
posée, claire, magnifique, choisie par le film, qu’il est question de traquer
les fantômes ou, pour être plus précis, de guetter les choses à l’intérieur
des choses, d’imaginer le dehors dedans, etc. En de longs plans fixes, le film avance l’hypothèse que le hors-champ n’est nulle part sinon dans le champ, que les conversations nourries auxquelles se livrent les personnages sont
des chemins détournés pour fabriquer des mondes habitables, que la beauté flagrante des décors (tel splendide escalier vermillon qui monte en colimaçon ; telle vue de la ville de Natal ; telle salle de musée ou telle cours d’école), des êtres, mais aussi des cadres – est un alibi pour ne jamais interrompre la rêverie. Fendas se permet le luxe de l’humour, qu’il mêle sans gêne à la gravité et à l’élégance, nous entraînant sur une pente où les surprises succèdent aux surprises – dans la plus grande des douceurs. (J.P.R.)

Fendas décrit la vie et le travail d’un jeune scientifique dans un Brésil presque désert. D’où vient cette idée ?
Le processus de création autour de la conception de mes films part toujours d’une image. Visuelle et (ou) sonore, cette image se situe à la frontière ténue entre le possible et l’impossible de la vie. Une image presque toujours en ligne de fuite. Fendas a également commencé à partir d’une image et d’un temps spécifique : une femme qui crie en direction de la mer, sûre qu’à un moment, quelque part, quelqu’un pourra l’entendre. A partir de cette image je commence à travailler ce qui entoure mon personnage, sa personnalité, l’atmosphère physique. Qui pourrait-elle être ? Sur quoi travaille-t-elle ? Comment croiser et mélanger ces deux territoires : interne, la subjectivité de Catarina et externe, les lieux où elle va. Et aussi, comment l’un peut interférer avec l’autre.

Les dialogues du film rappellent souvent des situations hors-champ, créant une tension entre ce qui est vu et ce qui est entendu. Pourriez-vous expliquer ce choix ?
J’aime beaucoup travailler avec l’imagination du spectateur. Que voit-il avec ses oreilles ? Lorsque j’utilise systématiquement une caméra fixe dans mes films, le hors champ est très important. Et ça me permet d’explorer différents points de vue de la scène.

Catarina est un personnage très convaincant : les multiples nuances de sa personnalité la font transcender les stéréotypes de la représentation féminine. Comment avez-vous travaillé son rôle ?
L’univers féminin est quelque chose d’incroyable. Il y a là d’intarissables nuances. Il y a aussi une force, une sensibilité, une part de mystère et d’imprévisibilité. Il y a du doute, du risque et de l’incertitude. Tout ça mis ensemble crée une matière merveilleuse pour un personnage. Le problème généralement, c’est que la plupart des hommes, je parle aussi des réalisateurs, ne comprennent ni ne voient rien de tout ça. Au contraire, ils traitent leur personnage féminin comme un objet vide. J’essaye de m’éloigner de ça.

Les décors du film contribuent à créer une atmosphère surréaliste, presque suspendue dans le temps. Pourquoi avez-vous filmé dans cette région en particulier ?
J’habite à Natal, ville où j’ai tourné Fendas, et Catarina est un peu une sorte d’alter ego. Comme elle, je suis professeur à l’université. Evidemment, il y a une géographie très favorable à Natal. Les dunes, la mer, le vent, le soleil. Natal est aussi considérée comme la grande ville brésilienne la plus proche d’Afrique. Mais je pense que cette atmosphère et cette suspension du temps proviennent en partie de la façon dont j’ai mis en scène le film. Les espaces vides, la distance entre la caméra et Catarina, la durée et le mouvement du corps à l’image.

Le son est au cœur du film, sa matière étant au centre de la quête de Catarina. Comment l’avez-vous travaillé, en particulier au montage ?
Catarina écoute le son à partir de la lumière. En particulier, elle cherche à déchiffrer des voix dans ce nouvel espace sonore. C’était un moment très difficile à travailler au montage son. Il fallait concevoir cet espace sonore ouvert par les recherches de Catarina sans en atténuer la force. On a essayé à tout prix de bien délimiter les deux dimensions temporelles.

La caméra recadre les images, les recentre, fait des zooms, jusqu’à complètement les déconstruire, à la recherche d’une vérité plus profonde. Comment avez-vous travaillé cet aspect ?
Détruire l’image pour trouver le son. Empêcher les yeux de voir pour permettre aux oreilles de prendre le relais. Écouter au lieu de parler. Tout le reste est la conséquence de ce point de départ. En quelque sorte, elle va plus loin que le personnage de Thomas dans Blow up d’Antonioni.

En questionnant sans arrêt ce que nous entendons et voyons, le film interroge la capacité du cinéma à saisir la réalité. Cet enjeu était-il présent lors de la réalisation ?
C’est un point de vue très intéressant sur le film. Mais je pense que le film va un peu plus loin et souligne l’incapacité de quelqu’un à saisir la réalité. En même temps, il nous ouvre la possibilité de réinventer cette réalité. Le film aborde aussi la question du possible, de la probabilité, notamment à travers la référence à Schrödinger. Cette probabilité est le moteur de notre vie, comme une énergie étrange qui nous rend fragile et en même temps nous pousse à nous mouvoir. C’est une des choses les plus importantes. À nous d’être attentifs à ces multiples rencontres plus ou moins probables que nous faisons au quotidien. Par exemple la rencontre, par le comité de sélection, parmi plusieurs autres, d’un film qui s’appelle Fendas.

  • Compétition Française  
  • Compétition Premier Film

Fiche technique

Brésil, France / 2019 / Couleur / 80'

Version originale : portugais. Sous-titres : français, anglais. Scénario : Carlos Segundo, Michelle Ferret. Image : Clovis Cunha. Montage : Jérôme Bréau, Carlos Segundo. Son : Gustavo Guedes, Leo Bortolin, Pedro Lima. Avec : Roberta Rangel.

Production : Les Valseurs (Damien Megherbi et Justin Pechberty), Aun Filmes (Daniela Aun), O sopro do tempo (Carlos Segundo), Casa da Praia (Pedro Fiuza).

Distribution : Les Valseurs

Filmographie : Subcutâneo, 2018. Ainda sangro por dentro, 2016.