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PRÍNCIPE DE PAZ

Sans aucune indication de lieu ni de temps, ville et campagne alternent jusqu’à ce qu’un plan fasse apparaître leur limite, ligne parfaite tracée comme pour une schématisation du monde. Des corps adolescents bougent et se déplacent dans des blocs de durée sans perspective, espaces-temps à la fois denses et dilatés où la vie semble se répéter hors de toute chronologie, de toute intrigue. Un grand squelette est allongé dans les hautes herbes, vestige d’un rite délaissé dont un sorcier masqué serait le seul officiant. Le ciel est lourd, chargé de tension, tous les mouvements semblent légèrement ralentis par la densité de l’air, condamnés à un enfermement sans douleur ni violence. Sur le trottoir, un duo minimal, guitare/batterie, joue pour presque personne un rock lent et poisseux. Avec ce premier film envoûtant comme une cérémonie perpétuelle, Clemente Castor invente une nouvelle manière de regarder l’adolescence – on peut penser à Gus van Sant, Hou Hsiao-Hsien ou Weerasethakul, mais en-dehors de toute influence, juste pour situer le niveau d’invention, de dévoilement d’une vérité des corps et de l’énigme qui les anime. Principe de Paz instaure un niveau de réalité inédit, une perception de la vie comme initiation permanente du corps à son dehors. On dirait des limbes ou un purgatoire, une vision de genèse ou de fin des temps, héritée d’une cosmogonie oubliée. C’est triste, beau, hiératique et sans pathos, lavé de tout commentaire sociale ou psychologique. Mais c’est juste notre monde, un morceau indéfini d’Amérique centrale, aujourd’hui. C’est à quoi ça ressemble aux yeux d’un jeune cinéaste visionnaire. (C.N.)

Après des courts-métrages qui ont circulé dans plusieurs festivals, Principe de Paz est votre premier long-métrage. Comment est né le projet ? Quel était le scénario initial ?
Ça a commencé avec mon intérêt pour la périphérie de Mexico, surtout la banlieue Est, qui est un des secteurs les plus marginalisés de la ville. Dans les années 1970 et 1980, des migrants venus de tout le Mexique se sont installés dans la périphérie de Mexico. Iztapalapa, où nous avons tourné le film, est un des endroits qui s’est peuplé de cette manière. Iztapalapa était une décharge, puis le gouvernement a décidé d’en faire un parc public. Les gens qui vivaient dans cette partie de la ville, dans un quartier nommé « Renovacion », vivaient du recyclage d’ordures. À vrai dire, il y en a encore beaucoup qui vivent de ça, et ce parc fait partie de leur quotidien. Ce parc a toujours été essentiel pour le film, pour souligner la communauté qui y vit et son rapport à cet espace. Et aussi pour montrer ce sentiment d’appropriation et la violence avec laquelle les gens interagissent avec cet endroit. C’était aussi important de montrer le syncrétisme de ce quartier, et les différentes façons dont les habitants développent leur spiritualité.

C’est un espace qui semble suspendu, et le film est une histoire d’emprisonnement – de corps et d’esprits – dans cet endroit sans issue. Dans le film, il est écrit « Nous pourrions disparaître si rien ne nous contenait ». Pourriez-vous commenter cette phrase ?
Au moment de l’écriture du film, j’étudiais la théologie. Cela a éveillé un intérêt pour le corps et ses différentes représentations. Dans le christianisme, plus spécifiquement son courant paulinien, ils ont inventé le terme « corps mystique du Christ, » et tous ceux qui sont baptisés font partie de ce corps et chacun d’eux a une fonction spécifique. Le squelette géant fait partie du mythe que j’ai créée pour l’histoire. Quand la communauté découvre le squelette géant, il devient ce « corps mystique » qui éveille leur intérêt à cause de son aspect spirituel, et renforce le syncrétisme des gens qui vivent là.
J’ai travaillé avec le concept de « corps sans organes » d’Antonin Artaud. C’était très important de penser au corps en gardant à l’esprit ses limites et ses frontières, de penser à ce qu’il contient et ce qui le maintient uni. De ne pas penser au corps seulement comme une prison, mais de penser à la transcendance de la chair qu’il peut accomplir, la transfiguration.

Dans le film, les acteurs (des non-professionnels) gardent leur vrai nom et semblent jouer leur propre rôle. Comment les avez-vous choisis, et comment avez-vous travaillé avec eux ?
Un an ou deux avant de tourner le film, je passais beaucoup de temps dans ce parc, à me balader, ou à rester assis des heures, à tout regarder. C’est là que j’ai trouvé un groupe de gamins jouant au foot dans la boue. C’est comme ça que j’ai rencontré Daniel, le personnage principal. Nous avons fait plein de tests vidéos pendant deux ans, à créer des petites histoires se déroulant là.
Ils gardent leur vrai nom car ça ne m’intéressait pas de créer un alter ego de leur vie, je voulais juste ajouter un peu de mystique à leur environnement. C’était très naturel de travailler avec eux, et comme le style de jeu est très minimaliste, il s’agit juste de créer une atmosphère où tout se déroule juste un peu plus lentement que d’habitude. Il y avait aussi beaucoup d’improvisation dans les dialogues. Le film est plein de nombreuses ambiguïtés, à commencer par son décor. Pourquoi avez-vous choisi de ne pas donner de références géographiques précises ? Parce que je pensais que je devais faire attention avec une « représentation » de cette « banlieue, » en tout cas géographiquement. Je ne voulais pas romancer Mexico ni Iztapalapa, parce qu’on tombe facilement dans la catégorie du misérabilisme pornographique. J’ai pensé que si je décontextualisais le lieu, je réduisais l’interprétation à une interprétation plus générale.

La photographie aide à créer ce sentiment d’indétermination, avec une lumière sombre, qui peut être un lever ou un coucher de soleil, ou le calme avant la tempête, nous laissant hésitants. Comment avez-vous travaillé l’éclairage ?
Nous avons toujours travaillé en lumière naturelle. Nous avons pris soin de tourner en août, car c’est la saison des pluies à Mexico. Nous voulions ces tonalités naturelles lugubres de gris et de bleu. Ils nous semblaient représenter les luttes intérieures des personnages. C’est pour cela que le dernier plan montre le ciel orageux et les nuages se refermant, comme une conclusion.

Il y a une tension constante dans le film, comme si quelque chose allait se passer d’un moment à l’autre. Mais le récit est minimaliste, le temps ne semble pas avancer, et à la fin on voit exactement la même scène de visite médicale, mais d’un autre angle, comme si tout se répétait. Comment avez-vous construit la structure du film et comment avez-vous travaillé le montage ?
Nous voulions faire un film où les sensations seraient plus importantes qu’un récit linéaire ou progressif. Le montage a consisté à jouer avec les plans que nous avions. Ma structure originale a été complètement transformée au montage. Nous voulions au montage faire une analogie entre le corps et l’emprisonnement, nous voulions raconter une histoire comme un corps sans organes. Où le début ne serait pas très clair, où nous raconterions l’histoire de la découverte du squelette géant avec des photos 35mm, sans vraiment montrer quand il a été découvert, ni par qui. Dans le film, vous insérez des images au format VHS et des photos. Pourriez-vous commenter ce choix ? Les formats VHS et Beta me rappellent le passé. Je tentais de créer un passé pour ces lieux, puis de montrer un avenir, avec la scène du feu. Chaque fois que nous utilisons un format différent, il s’agit d’une autre époque, qui n’est pas le présent. C’est aussi une manière très plastique de raconter l’histoire, nous avons méticuleusement travaillé le son et la musique de ces scènes ; c’étaient ces parties où le film pouvait se disloquer, se séparer de ce sentiment d’emprisonnement et de tension.

Comment interpréter le titre ?
Principe de Paz, Prince de la Paix, est un des noms de Jésus chez les musulmans. J’ai conçu le personnage principal comme un prophète, un personnage mythique dans un contexte et une communauté très spécifiques, ici la périphérie Est de Mexico, Iztapalapa.

Propos recueillis par Marco Cipollini

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Fiche technique

Mexique / 2019 / Couleur / 84'

Version originale : espagnol. Sous-titres : anglais. Scénario : Clemente Castor. Image : José Luis Arriaga. Montage : Sean Von Dahn, Clemente Castor. Son : Cristian Manzutto, Álvaro Ortíz, Jorge Zubillaga. Avec : Daniel Ruíz, Mario Hernández, Aurora Chavero, David Ruíz, Gabriel Rey, Carmen Zavaleta.
Production : Salón de Belleza (Alejandra Villalba & Kim Torres), Pergoleros (Verónica Posada & Andrew Martín), Estudio de Producción (Cristian Manzutto). Distribution : Salón de Belleza (Alejandra Villalba).
Filmographie : Príncipe de Paz, 2019. Resplandece, 2017. Silencio, 2016.