En brefs tableaux stylisés, un conte archaïque ouvre le film pour revenir sur la création divine de la musique. Le mythe se prolonge dans un univers aux dimensions sacrées où il est difficile de départager le fantastique légendaire de sa perpétuation actuelle. Où est-on ? Dans le Rif marocain, à Jajouka, village où sont célébrés depuis plus de deux mille ans, en musique et en danse, des rites de fertilité présidés par Bou-Jeloud, « le Père des Peaux», version locale du dieu Pan.
On savait les frères Hurtado fameux musiciens : leur groupe Etant Donnés s’est signalé par sa collaboration avec Alan Vega, Genesis P-Orridge, parmi d’autres, ou avec Philippe Grandrieux pour qui ils ont réalisé la BO de plusieurs de ses films. On les savait aussi cinéastes expérimentaux. Les voilà conjuguer ici leur double passion, relevant le défi d’une remontée dans le temps pour saluer les Maîtres Musiciens de Jajouka, d’hier comme d’aujourd’hui. Le temps, d’ailleurs, aurait-il passé ? Il ne s’agit donc pas de fabriquer une partition destinée à accompagner des images autonomes, mais bien de faire de la musique (de sa stridente nudité, de son dépouillement incantatoire) et de son histoire, la substance même des images, du scénario à sa mise en scène. Leur choix, d’évidence pasolinien : ressusciter l’archaïsme en lui restant fidèle, dans le traitement des décors, des lumières, du jeu, des costumes. La beauté ici tient à ce frottement rugueux entre le mutisme des personnages et leurs élans effrénés en direction d’une autre voix possible.
Jean-Pierre Rehm
Entretien avec Eric et Marc Hurtado au sujet de JAJOUKA, QUELQUE CHOSE DE BON VIENT VERS TOI paru dans le quotidien du FIDMarseille du 5 juillet