Il y aura une fois Léonore, peut-être cinéaste, et Agathe, l’employée de boucherie, que dévore jour et nuit une entreprise créatrice épuisante et profondément dérangeante. Dans une grande pièce aux murs blancs : une chaise ou deux, un bureau, et une actrice, scénario en main. L’économie de moyens n’empêche pas un espace immense de s’ouvrir à partir de là, bien au contraire. Des mots prononcés, chuchotés, répétés, naît une histoire étrange comme un rêve, dont l’ampleur se dévoile au fur et à mesure. Le corps et la voix sont ceux de Nathalie Richard, impressionnante de maîtrise dans ses tâtonnements même, qui seule en scène, incarne les autres personnages, femmes, hommes, et boeuf. Car ici, il est question de corps, autant dire de viande. Et crue, encore, écorchée, même. Il est question de souffrance, qui pointe derrière la pureté du décor, la délicatesse d’un ralenti, la blondeur de Nathalie Richard, pour surgir tout à coup dans un abattoir. Et si Judith Abitbol semble faire apparaître les cordes, brouillons, schéma de construction, et autres répétitions de son histoire, ce n’est que pour mieux signifier le travail inlassable de l’esprit pour combler le vide et l’absence auxquels s’attaquent, ensemble mais chacune à leur manière, Agathe et Léonore, au mépris du pourrissement inévitable de la chair. Surprenant, excessif et cruel comme des « jeux d’enfants agrandis », son cinéma rend au surréalisme son pouvoir libérateur. Non sans une certaine douceur.
Céline Guénot