• Compétition Française

PAN TO MIME

Michel S Zumpf

« Pantomime : Spectacle où l’artiste s’exprime uniquement par des gestes, des mimiques et des attitudes. » Certes, Pierrot, saint patron des mimes, est bien le personnage principal du nouveau film de Michel Zumpf. Mais si ce dernier prend soin de décomposer le mot pour former son titre, c’est pour en élargir la portée. PAN TO MIME. A nous de jouer. On peut le prononcer à l’anglaise, car le film fait l’aller-retour de part et d’autre de la Manche, entre toits de Paris et berges de la Tamise, entre la musique des deux langues et avec les écrivains aimés : Verlaine et Laforgue, Chesterton et Dickinson. Mais c’est au grec ancien qu’il faut revenir, à l’étymologie : imitation de tout. Tel est le projet du cinéaste depuis Le Géographe Manuel (1996), projet qu’il porte ici à un niveau inédit de sophistication, de grâce et de musicalité : faire poésie de tout. À l’origine du cinéma de Michel Zumpf, il y a une extraordinaire curiosité, un fol appétit de trouver le beau, le remarquable, partout, dans tout. Curiosité redoublée d’une passion de collectionneur. PAN TO MIME est le désordre réordonné, par le génie du montage, d’une série de collections : de lieux, de livres, de mots, d’objets, d’instruments de musique, de langues (anglais et français mais aussi russe, italien, japonais, etc.) Collection aussi, et c’est la chair du film, de tout un peuple d’êtres vivants : animaux, hommes et femmes de tous âges, acteurs ou musiciens renommés, éleveurs d’ânes ou de cochons, dont les corps et les visages, amoureusement filmés, impressionnent la pellicule 35mm de leur singulière vitalité. Mots et choses du passé, ruines des usines Pathé ou du manoir de Saint Pol Roux ; paysages et visages d’aujourd’hui. Tout s’accorde dans le même temps, celui du film, de sa musique et de son rythme, qui abolit les autres. Si le cinéma muet a ressuscité l’art oublié de la pantomime, celui sonore de Zumpf exhume et accomplit une autre promesse du XIXe siècle – celle de Baudelaire, de la modernité poétique comme correspondances et élévation : accorder à tout ce qui passe l’éternité, arracher au siècle le siècle même.

Cyril Neyrat

PAN TO MIME poursuit l’entreprise du Géographe manuel : celle de films composés à partir d’une série de tournages distincts, au fil des mois, à chaque fois sur un site ou dans un lieu choisi. Pouvez-vous revenir sur cette singulière méthode de création. A-t-elle évolué depuis le premier film ? A-t-elle différé, changé, pour ce film ?

30 ans après Le Géographe manuel (1994), je voulais retourner en 35 mm en suivant le principe du premier long métrage avec la méthode ciselée du tourné monté dans la caméra en suivant les saisons. 7 tournages en noir et blanc et 7 tournages en couleur. J’ai montré les premiers rouleaux synoptiques préparatoires à Claire Mathon qui m’accompagne au gré du temps depuis la trilogie Socrate pour prendre congé (2017), Carte de visite (2019) et Oeil Oignon (2021). Il aurait été mortifère de refaire ce chemin néanmoins. Le monde avait tourné et nous avec lui. Chacun de ces films établit des relations organiques entre eux en se jouant de l’ontologie des débuts, c’est à dire en fixant d’autres horizons, d’autres inconnues pour avancer dans le noir.

Ce qui distingue peut-être ce film, c’est qu’une figure centrale le traverse, en accord avec son titre : celle de Pierrot. Soit la figure tutélaire d’un art où le geste remplace la parole. Pourquoi cette figure ? Est-elle à l’origine du film ? En quoi vous a-t-elle permis de le composer ?

Ah Pierrot, ou Pierrot.e plus exactement. La combinaison conductrice passe de femme en femme hormis une fois avec le flûtiste Matteo Cesari qui joue en live la ligne de flûte de certains des chants du Pierrot Lunaire de Schönberg. Colombin.e étant incarné.e par François Morel en combinaison d’égoutier. Pierrot fin de siécle est partout. Je suis surtout parti de la Complainte de Lord Pierrot de Jules Laforgue. Poésie visionnaire d’actualité éternelle. Aprés cela s’est construit au fur et à démesure. Pierrot.e n’est pas le seul thème du film. Disons qu’il permet l’enjambement.

Si ce n’est pas Pierrot, quelle est l’origine ?

L’origine du film reste malgré tout l’enregistrement dans le noir image du Prélude de Pasternak (1906), joué pour le film par Stephanos Thomopoulos.

La géographie est aussi plus réduite – par rapport à la profusion de sites de Carte de visite (FID 2019), par exemple. Le film est construit entre Paris et Londres, avec une importante étape au Havre, soit sur le chemin d’une capitale à l’autre. Pouvez-vous commenter cette géographie ? Pourquoi cette dominante franco-anglaise ?

Londres. Il allait de soi d’aller filmer les ruines du Crystal Palace en pantomimant avec le premier mouvement pour piano composé par Angèle David Guillou.
Partir, embarquer à Dunkerque, débarquer. Là encore faire le déplacement géographique pour tourner autour du mythe Londres. C’est heureux que ce seul tournage à Londres vous ait marqué. Je voulais y retourner d’ailleurs avec la couleur. N’oubliez pas, le film est luxueusement pauvre et se nourrit tout autant de ses impossibilités. On dira qu’il fallait faire l’expérience de Londres au travers du canevas du « nommé Jeudi » de G.K.Chesterton, en particulier l’émouvant clerihew de départ. Là encore pastiche…

Votre film témoigne d’une insatiable curiosité de collectionneur, avec à nouveau une prédilection pour une certaine période de l’histoire : l’espèce de siècle à cheval sur le XIXe et le XXe, entre Tour Eiffel et Crystal Palace, Laforgue et Chesterton. Pourquoi cette époque ? Qu’est-ce qui vous y retient ?

Très juste, siècle fer à cheval. Je peux être encore plus précis. Ce voyage transhistorique commence en 1906 avec le Prélude de Pasternak puis les Grands vents venus d’outremer de Maurice Ravel (1906) lu puis chanté par Laura Müller. Là encore actualité éternelle. En fait tout se passe entre 1906, 1912 le Titanic et L’Après-midi d’un faune, et s’interrompt en 1936 avec l’incendie du Crystal Palace, tout cela à l’aune de l’aujourd’hui. Long tableau synoptique prémédité.

En-dehors de l’axe Paris-Londres, le film s’autorise quelques excursions, digressions – notamment en Bretagne pour filmer les impressionnantes ruines du manoir de Saint-Pol-Roux – poète symboliste emblématique de ce siècle ? Qu’est-ce qui vous a conduit vers lui, vers ces ruines ?

La Bretagne ou plus exactement le Finistère n’est pas à mes yeux une digression.
C’est le lieu, les lieux du Géographe manuel. Aussi fantomatiques et perdus soient-ils.
Saint-Pol-Roux !!! Il m’est indispensable comme l’est Satie pour Cage. Il était de Marseille d’ailleurs. Là aussi y aller lui rendre hommage en portant des voix avec soi. La vie n’est que la Légende de la mort. Il y aurait tant à dire a apprendre de lui. On est bien au-delà de la poésie. Là aussi visionnaire absolu à l’instar de Max Jacob et Victor Segalen. Ne pas laisser les doctes abimer ces trois amis. Ils sont d’un autre siècle… peut-être… peut-être… mais tellement en avance.

Vous portez ici votre art du montage – de la composition d’images et de sons – à un niveau de sophistication et de musicalité nouveau. Pouvez-vous nous parler du montage, de votre manière de faire avec un matériau si disparate ?

Grande question. Le montage a lieu tout le temps, jour et nuit. Pendant chaque tournage, juste après avec Justine Arsène en pré-montant le premier squelette et arêtes, pour envoyer un footage au musicien pressenti. Lequel musicien peut être au Japon à New York ou en Auvergne. J’établis depuis Oeil Oignon la partition sonore de chacun des musiciens ayant vu au moins le premier Géographe manuel. Chaque musique est opératrice tout autant que les images et les sons organiques. Je n’use jamais d’une musique pré-enregistrée. Il faut qu’elle intervienne en live ou en correspondance. La correspondance étant un live aussi en un sens.
Puis le montage de fin qui permet l’acheminement des voix,leur placement ici celles d’Audrey Bonnet, Ella Orleans, etc. Puis toutes les musiques n’en font qu’une.

Comme vos précédents films, PAN TO MIME impressionne par la générosité avec laquelle il semble pouvoir tout accueillir dans son flux poétique. Est-ce là votre ambition de cinéaste ? Faire poésie de tout – selon l’étymologie grecque de « pantomime » ?

Le Géographe manuel est éthique et non corrompu. La mise en amitié avec les uns et les autres s’opère ainsi dans cette discontinuité contiguë. Il donne un nouveau sens à l’aphorisme de Max Jacob : « Heureux qui marque la pellicule ».

Propos recueillis par Cyril Neyrat

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Fiche technique

France / 2023 / Couleur et Noir & blanc / 134'

Version originale : français, anglais
Sous-titres : sans sous-titres
Scénario : Michel S Zumpf
Image : Claire Mathon, Sanier Antoine, Alan Guichaoua , Léo Hinstin, Naomi Amarger, Vincent Weiler, Pascale Marin, Agnès Godard
Montage : Justine Arsène
Musique : Stephanos Thomopoulos, Patrick Higgins, Ela Orleans, Takumi Akaishi, Hélène Breschand, Susan Alcorn , Angèle David-Guillou, David Fenech, Agathe Max, Loup Uberto, Laura Müller, Matteo Cesari…
Son : Bruno Ehlinger, Pierre Bezard, Anne Ducouran , Nolan Fellahi , Dimitri Haulet, Tilaï Ravut, Lucas Denis, Paul Clayes, Valentin Sismann, Joseph Squire, Clara Nicolas, Mathis Kuntz
Mixage : Thierry Delor
Avec : Audrey Bonnet, François Morel, Jean-François Balmer, France Cartigny, Maxence Tual, Tugba Sunguroglu, Charlotte Rançon, Sandrine Dumas, Estela Basso, Andrea Susac, Suzanne Caye, Paul-Alexandre Dubois, Laura Müller

Production : Michel S Zumpf (Association du Géographe manuel)
Contact : Michel S Zumpf

Filmographie :
Œil Oignon, 2020, 3h06
Carte de visite, 2019, 2h20
Socrate, pour prendre congé, 2017, 1h18
Onde Quichotte, 2016 , 18 minutes
Le Géographe manuel, 1994, 1h18