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Wendelien van Oldenborgh

Wendelien van Oldenborgh
De l’architecture, Wendelien van Oldenborgh fait tout à la fois son décor et son outil d’investigation pour interroger la politique et son histoire. On se souvient de la formidable sophistication des constructions de Two Stones (FID 2020) et de Beauty and the Right to the Ugly (FID 2015). D’une simplicité délibérée, le titre de son dernier film souligne sans équivoque l’importance de l’espace. Et pourtant, à nouveau encore, refusant le schématisme et la démagogie des raccourcis, c’est la complexité qui est revendiquée. Car l’espace, cet « ici » filmé, est instantanément multiple : le sol et le cadre où l’on se tient ; là d’où l’on provient et qui continue de flotter en nous et en-dehors de nous (le caractère musical, en somme, d’un espace) ; la mémoire du lieu, elle-même métissée (les couches, visibles ou pas, de toute archive qu’est un site). Profitant d’un temps de rénovation du Musée d’art moderne à Arnhem pour elle aussi reprendre à neuf les questions liées à la communauté indo-européenne des Pays-Bas, elle y a composé une tresse à trois fils : un groupe de jeunes musiciennes, FRED ; une poétesse, Pelumi Adejumo ; et une historienne de l’art, Lara Nuberg. Si le bâtiment d’origine du Musée s’inscrit dans un passé colonial, sa vocation aujourd’hui est de revendiquer les artistes femmes ou issus de la diversité. Voilà du coup ces jeunes femmes invitées à animer, sous nos yeux, ce Musée : en sons et en mots, en analyse et en poème, en gestes et en images. Et à dialoguer avec les murs du bâtiment et les allégories qui s’y sont déposées. Travail collectif, où la réalisatrice parvient à faire danser en magnifique intelligence toutes les subtilités.
(Jean-Pierre Rehm)

Entretien avec Wendelien van Oldenborgh

Dans votre pratique artistique, vous interrogez souvent le passé et le présent à travers le prisme de l’architecture, comme nous avons pu le voir dans Two Stones (FID 2020) et Beauty and the Right to the Ugly (FID 2015). Hier. a été tourné au Musée d’art moderne d’Arnhem, aux Pays-Bas, pendant sa rénovation. Soit dans un lieu de conservation en transition, comme vous le dites vous-même. Comment avez-vous découvert cet endroit, et pourquoi l’avoir choisi comme lieu de tournage ?
Alors que je m’intéressais à l’histoire de la communauté indo-européenne aux Pays-Bas, j’ai découvert que le bâtiment d’origine du musée d’Arnhem avait des liens très forts avec notre passé colonial. La rénovation en cours a notamment pour objectif de rendre aux parties les plus anciennes du musée leur apparence d’origine. Mais en même temps, le musée s’enorgueillit de collectionner les œuvres d’artistes néerlandais femmes ou issus de la diversité. J’ai pensé qu’il était intéressant d’explorer cette question le temps des travaux. L’histoire de la présence indo-européenne dans ce pays est complexe. Aujourd’hui, les mouvements d’émancipation qui s’attaquent au racisme structurel et à l’héritage colonial font ressortir ces complexités.

Dans le musée, le groupe féminin FRED, la poétesse Pelumi Adejumo et l’historienne Lara Nuberg abordent des thèmes comme l’hybridité, la transnationalité, la mémoire du colonialisme ou l’identité de genre. Comment les avez-vous rencontrées, et comment avez-vous trouvé un terrain de discussion commun ? Aviez-vous un scénario pour vous guider ?
Au départ, mon intention était de tresser trois lignes sonores, dont l’une serait représentée par le kroncong. Je trouve que ce style musical est empreint de contradictions, un peu à l’image du bâtiment qui abrite le musée. On dit qu’il s’agissait d’un vecteur d’émancipation dans les années 1920-1930, quand des artistes indo-européens ont commencé à populariser ce mélange préexistant de musique traditionnelle indonésienne et d’un son plus européen. Les maisons de disques internationales ont joué un rôle dans la diffusion de ce style musical, qui faisait entendre pour la première fois le malais, le sabir de la région. Après l’indépendance, cette musique traduit aux Pays-Bas une certaine nostalgie pour une époque révolue. Il est peut-être bon de rappeler que la frange indo-européenne de la population a été à la fois privilégiée et discriminée durant l’époque coloniale. Lorsqu’elle n’a plus été la bienvenue dans la toute nouvelle République d’Indonésie en 1945, bon nombre de ses ressortissants ont rejoint les Pays-Bas, où ils ont été victimes de racisme et d’humiliations, alors même que la plupart se réclamaient de l’identité néerlandaise.
J’ai choisi de travailler avec le groupe FRED parce qu’à mes yeux, elles représentent parfaitement ce que sont les Pays-Bas aujourd’hui : un grand mélange d’individus issus ou non d’anciennes colonies. Je les connaissais déjà et j’adorais leur énergie et leur sensibilité musicale. Lyana Usa, la guitariste solo, est originaire d’Indonésie, d’une vague d’immigration plus tardive que la vague principale d’après-guerre, et aucun membre du groupe n’est indo-européen. Elles sont en revanche capables d’improviser magnifiquement sur de vieux sons kroncong, un style avec lequel elles se sentent en affinité.
Pour les autres lignes sonores, nous avons recueilli les impressions de Lara Nuberg sur l’histoire indo-européenne, et les réflexions magnifiquement formulées de Pelumi Adejumo, une poétesse qui écrit en néerlandais, même si ce n’est pas sa langue maternelle. Il n’y avait pas de scénario prédéfini, mais nous avons échangé toutes ensemble sur ces questions via internet pendant des mois, et Pelumi a assisté à certaines répétitions du groupe. La chanson de FRED que l’on entend à la fin a été écrite spécialement pour le film.

Les mouvements de caméra et les plans donnent l’impression que l’on navigue et que l’on tourne autour de ces silhouettes et à travers ces lieux, sans jamais pouvoir vraiment les saisir ni les fixer, comme s’ils restaient insaisissables du fait de leur mobilité et de leur mutabilité. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Lawrence Lee Kalkman, votre directeur de la photographie ? Comment s’est passé le tournage ? Est-ce que les lieux et l’architecture ont influencé ou inspiré les plans et les mouvements de caméra ?
Nous avons tourné le film en un seul jour ; le groupe est seulement venu répéter quelques heures la veille. Nous avons composé les plans entièrement à partir de l’architecture, en effet. J’ai l’habitude de travailler en étroite collaboration avec le directeur de la photographie, et pour ce film, de nombreuses décisions ont été prises avec Lawrence Kalkman.

Sur les murs du musée en travaux, on voit des images en grand format. Pouvez-vous nous parler de l’origine de ces images ?
L’une des plus grandes images montre une exposition d’autoportraits de femmes qui a eu lieu au musée en 2016. Par un heureux hasard, l’un des tableaux représentés est de Charley Toorop, dont on ignore souvent qu’elle est justement d’origine indo-européenne. L’autre image est une esquisse du pavillon où sera projeté Hier. durant tout l’été dans le cadre de l’Exposition internationale d’art contemporain Sonsbeek20->24, à Arnhem (Pays-Bas). J’ai collaboré avec l’artiste Erika Hock qui a dessiné cette structure en spirale, que je trouve chargée de sens. Pour le tournage, j’ai projeté une image d’un orchestre de kroncong des années 1920, dont tous les membres semblent être des femmes (même s’il y a en réalité un homme dans la section des instruments à cordes).

Pendant tout le film, nous restons à l’intérieur du musée, sans rien percevoir du monde extérieur, mais pendant les génériques du début et de fin, il semblerait qu’on entende les bruits de la rue et le passage des voitures. Pourquoi ce choix ? Est-ce en rapport avec le titre du film ? Que signifie le titre pour vous, et pourquoi est-il suivi d’un point ?
J’ai choisi Hier. [Ici.] après avoir terminé le montage. Je pense que c’est un film profondément ancré dans l’espace et le temps, même s’il fait référence à une époque révolue et à un pays lointain. Cet ailleurs, dans le temps et l’espace, est toujours présent aujourd’hui.

Propos recueillis par Marco Cipollini.

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Fiche technique

Pays-Bas / 2021 / 28’

Version originale : néerlandais.
Sous-titres : anglais.
Scénario : Pelumi Adejumo, Lyana Usa, Josephine Spit, Lara Nuberg, Thirza Hiwat.
Image : Lawrence Lee Kalkman.
Montage : Wendelien van Oldenborgh.
Musique : Lyana Usa, Josephine Spit, Thirza Hiwat.
Son : Roel Pothoven, Julian (Togar) Abraham, Tyler Friedman.
Avec : Pelumi Adejumo, Lara Nuberg, Lyana Usa, Thirza Hiwat, Josephine Spit.
Production : Wendelien van Oldenborgh.
Filmographie : Two Stones, 2020. Cinema Olanda Film, 2017. Prologue: Squat/Anti-Squat, 2016. From Left to Night, 2015. Beauty and the Right to the Ugly, 2014. La Javanaise, 2012. Bete & Deise, 2012. Instruction, 2009. Maurits Film, 2008. Lecture/Audience/Camera, 2008. No False Echoes, 2008. Sound Track Stage, 2006-2008. Maurits Script, 2006.