De la poudre blanche, des trafiquants, des femmes poseuses, une ville interlope à peine entr’aperçue. Et un homme qui se présente comme un guerrier parlant aux esprits. Les ingrédients sont posés, tout comme l’artifice annoncé. Audacieux, le pari de Chris Gude pour son premier film à l’évidente maitrise, est celui de prendre le contrepied du naturalisme. Ainsi les maigres intrigues sont ramassées dans des décors épurés, construits par des cadres fixes, tirés au cordeau et habillés des couleurs franches de plans quasi monochromes. Dans ces lieux règne un calme étonnant, presque menaçant, renforcé par la sérénité des voix, le hiératisme des corps, la stylisation des actions, conférant à chaque rencontre et à chaque dialogue l’évidence de la nécessité. Dans ce petit monde, il y a Mascara, guerrier descendu de ses montagnes colombiennes, et son ami Primo. Figures hiératiques, chacun semble attendre. Dans les replis d’une ville claustrophobique, dont l’agitation s’entend au loin, se joue aussi un commerce inattendu des corps où une prostituée affirme être encore vierge à 32 ans, où les supposés clients offrent le plus simplement du monde des massages, où l’on raconte l’amitié avec un gorille. Petit théâtre de l’attente, ce monde aurait-il basculé dans celui des morts ? Nul ne sait, sinon qu’il est ryhtmé par le tempo mélancolique et lancinant du mambo.
Jean-Pierre Rehm