À l’écran, le noir se mue en obscurité, celle de la nuit, d’où montent des voix, celles de jeunes migrants afghans, quelque part aux abords d’un Paris plus deviné que présent. Bijan Anquetil nous immerge dans leur monde nocturne, dans leur nuit toute de jeunesse, de vitalité, habitée et active. Car cette nuit, loin de tout endormissement, remue comme nous le rappelle le titre emprunté à Henri Michaux, et ne se laisse pas dompter.
Nuit poétique et métaphorique aussi, on l’aura compris. Celle des sans grades, des invisibles au regard de l’administration. Mais riche, vivante, trouée de rires, de peurs et de désirs. Anquetil leur restitue leur visibilité, les arrachant au monde des spectres. Pas de pathos, ni de récit d’horreur, mais la consignation non moins nécessaire de cette économie de survie, de cette obstination «d’y arriver », ou, tout simplement, d’arriver au terme d’un si long périple. Une nuit illuminée d’images venues d’ailleurs, d’avant. Car aux plans nocturnes d’Anquetil répondent les images fragiles, rudimentaires, souvenirs ou témoignages d’événements captés au hasard de leur périple avec leur propres téléphones. Une nuit trouée aussi de rais de lumière, faisant surgir ici un visage, là une carte tracée à la craie à même le sol. Mais n’est-ce pas là l’une des promesses, littérales, du cinéma, sortir des abîmes de la nuit par de furtives incandescances? Promesse balancée ici modestement, par l’espoir simple d’un matin possible. (NF)
Entretien avec Bijan Anquetil au sujet de LA NUIT REMUE paru dans le quotidien du FIDMarseille du 6 juillet 2012