Alain Della Negra avait fait preuve dès son premier film (Chitra Party, FID 2003) de son inclination pour le faux vrai, le vrai faux, la puissance du double, le tremblement des assignations, la force et la farce de la fiction fichée au sein du corps fragile du vérisme documentaire. Il a donc tout « naturellement » trouvé avec Second Life un terrain d’élection. Présenté l’an passé avec Kaori Kinoshita, The Den explorait cette zone d’échange virtuel, mais se concentrait sur une seule tribu, les « Furries », amateurs singuliers de leur propre devenir-animal. Comme ce nouveau pays est vaste, et tend à s’étendre encore, où des internautes se déplacent, conversent, commercent, aiment, dirigent des sociétés, mènent des clubs, font la fête, en un mot fabriquent de leur vie une doublure rêvée, Della Negra et Kinoshita ont du pain sur la planche. On retrouvera quelques Furries ici, mais auxquels s’ajoutent des Goréens aux étranges mœurs sexuelles et, pour faire bonne mesure et compléter la similitude avec notre monde, un couple d’évangélistes chrétiens.
On l’aura saisi, ce cirque somme toute bien paisible vaut pour deux aspects. L’invraisemblable exubérance obtenue via la patience des adeptes de cette vie bis, d’une part, où les écarts fantasmés viennent ici à se ranger, visibles, disponibles : le fantastique au quotidien. La proximité très vraisemblable avec l’ordinaire : le quotidien du fantastique. C’est cet aller-retour de la norme vers elle-même, avec détour affolé, que parcourt le film, calmement stupéfait, et nous avec.
Jean-Pierre Rehm