GRAND CENTRAL HOTEL
Serge Garcia
États-Unis / 2021 / 22’
Compétition Flash 2021
La caméra est posée dans un hall d’hôtel, celui du titre, objectif tourné vers la porte. Poussant des bagages à roulettes, plutôt qu’une figure claire et distincte, une silhouette assez brumeuse franchit le seuil. Cela pourrait être le début d’un film noir ou un hommage à Hotel Monterey de Chantal Akerman. Peut-être un peu des deux, c’est l’amorce d’une interview très particulière d’une éminence de la musique éléctro : Terre Thaemlitz, plus connue sous son nom de scène DJ Sprinkles. Pourquoi particulière ? Parce que, très précisément, c’est cette idée du particulier que le film va s’employer à battre en brèche. D’une part, alors même que la caméra va suivre le personnage dans l’intimité par définition protégée qu’est l’asile qu’offre la chambre d’hôtel : à se doucher, à se masturber, à dormir, aucun de ses traits ne sera dévoilé. Le personnage gardera son statut mystérieux, comme dans certains films fantastiques, d’un être sans visage, d’un être aux contours vagues, mobiles, d’un être indéfini : d’un être sur lequel la notion d’identité dérape. D’autre part, parce qu’en off, toujours et nécessairement en off, comme provenant du fonds d’un secret là exposé, la voix du protagoniste théorise justement cela. Avec une rare acuité, animée d’une détermination confondante, la voix se raconte comme être théorique, et ce que telles existence et exigence requièrent, pratiquement. Refuser l’assignation sexuelle, se revendiquer du glissement chronique, du passage incessant, précaire. Mais cela signifie aussi et encore : réfuter tous les vocables en vogue pour buter sur le vocabulaire et chercher comment dire, sans stabiliser à nouveau, cette instabilité glorieuse. Être d’hôtel, en somme, disposé à accueillir en lui toutes ses dispositions, sans jamais les verrouiller, sans jamais s’en accommoder, voilà « qui » Serge Garcia a choisi d’abriter, le temps d’une nuit, dans son sobre et explosif Grand Central Hotel.
Jean-Pierre Rehm
A GENERAL DISAPPOINTMENT
Serge Garcia
États-Unis / 2022 / Couleur / 27’
Compétition Flash 2022
A General Disapointment propose en trois chapitres une méditation existentielle à partir d’un texte conjugué à une suite de longs plans fixes. Ceux-ci mettent en scène le réalisateur Serge Garcia dans des situations de la vie quotidienne qui distillent un burlesque dépressif, où le banal tourne à l’absurdité et appesantit le corps solitaire du personnage. En contrepoint de ce quotidien ordinaire et muet, le texte s’affiche en sous-titre, voix intérieure qui rappelle par le récit d’anecdotes cocasses les dérives caustiques d’un Woody Allen ou d’un Larry David. La simplicité du dispositif logorrhéique de A General Disappointment n’a d’égal que sa merveilleuse précision et sa densité réflexive. Après Grand Central Hotel (FID 2021), Serge Garcia construit à nouveau un objet cinématographique au service du discours, et trouve dans le soin des cadrages et le pari de leur durée les ressorts pour faire exister littérature – la sienne et celle, entre autres, de Kathryn Scanlan – et pensée philosophique – Lauren Berlant. Tandis que Serge Garcia, installé au volant d’une voiture arrêtée, s’enfourne un plat de noodles digne des heures les plus moroses du flic en planque dans un mauvais polar, le texte invite à une réflexion sur les échecs organisés des sociétés capitalistes et la vanité de leurs promesses de bonheur et d’accomplissement de soi. Les saynètes vont et viennent de la rue à la chambre, mouvement réaffirmant l’intime comme politique et l’analyse nécessaire de nos affects les plus personnels (sentiments d’inadaptation, frustrations, névroses) comme produits et normés. Sur le gros plan d’un ampli, la voix de Laurene LaVallis, chanteuse éphémère des années 80, inverse l’opération de concentration, de la lecture à l’écoute pleine, comme possibilité de réappropriation d’un corps au présent. Sans ostentation, Serge Garcia crée tout simplement de la présence au monde et à soi.
Claire Lasolle
Date : 29.01.2025 à 20h30
Lieu : Volksbühne, Berlin
En présence de Serge Garcia